Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Rome 5 , au Vatican. Tapis rouge pour le président communiste, réception digne du chef d’un grand État, drôle de rencontre avec Jean-Paul II. J’y assiste dans la perspective de mon émission sur La Croix .
Côte à côte, je vois Jean-Paul II dans sa robe blanche immaculée, et le général Jaruzelski, lunettes noires, comme ébloui par les lumières du Vatican, raide à côté du chef de l’Église romaine, souriant et comme épanoui par la visite de son compatriote.
Pendant cette discussion d’une heure et dix minutes, que s’est-il dit, quelles confidences, quelles questions, quels échanges ? Il ne faut pas être grand clerc pour conclure :
1. que le pape a enfin réalisé son plus cher souhait : polonais, profondément attaché à sa terre natale, il a choisi de passer l’éponge sur la révolte matée des Polonais, sur le sort fait à Solidarność, sur le calvaire de Lech Walesa. Passer l’éponge, c’est aussi ce que fait Jaruzelski : le pape viendra à Gdansk en juin, de nouvelles églises se construiront en Pologne ;
2. Jaruzelski, porte-parole de l’Est, a sans doute abordé d’autres problèmes que celui de la Pologne. Celui de l’ouverture. Ce n’est pas un hasard si des prisonniers politiques ont été libérés, si AndreiSakharov a pu se laisser interviewer, dans son appartement de Moscou, par une chaîne américaine en direct, oui, en direct ! À coup sûr, pour aborder tous ces problèmes, Jaruzelski était mandaté par Gorbatchev. Glasnost et perestroïka sont passées par là.
Le moment est historique : je doutais, comme tout le monde, de l’eurocommunisme dans les années 1970 ; la rencontre du pape et du général Jaruzelski marque, j’en suis sûre, un extraordinaire tournant dans le communisme international.
Mitterrand, qui avait reçu Jaruzelski en France il y a déjà un peu plus de deux ans, a-t-il été en définitive un précurseur ?
25 janvier
Vu Pierre Mauroy à Lille dans la petite salle à manger – pas si petite, à vrai dire – qu’il a fait aménager à la mairie pendant qu’il était à Matignon. À côté, deux autres pièces joliment décorées.
Il me confie que ce qui l’intéresse aujourd’hui, ce serait de prendre une place dans le mouvement socialiste international. En même temps, il ne souhaite pas qu’il s’agisse d’un éloignement, qu’il soit du coup expulsé de la politique intérieure du Parti.
François Mitterrand le voit assez souvent, avec plaisir, selon Mauroy, qui note tout de même que le Président ne semble pas avoir de passion rétrospective pour Laurent Fabius. Mauroy ne s’en réjouit pas : la qualité de cet homme, décidément, m’épate de plus en plus. Quand je pense à quel point j’ai souffert, même si je ne l’ai pas dit, de la fin de la Haute Autorité, que dire des sentiments, des difficultés, de l’ennui qui ont dû s’abattre sur Mauroy dès qu’il a eu passé la porte de Matignon en 1984 !
Pourtant, pas de désenchantement chez lui, aucune aigreur, rien.
Il a passé le réveillon à Brégançon avec Mitterrand, qui lui a conseillé de prendre la tête du courant « A » du PS.
Nous parlons longuement de Michel Rocard : son attitude irrite Mauroy. Pourquoi ? Parce qu’il ne veut pas dire qu’il se retirera si Mitterrand se représente à la présidentielle, l’année prochaine. Il me demande ce que j’en pense.
Je lui réponds que, pour le coup, je comprends assez bien que, huit ans après le congrès de Metz, Rocard répugne à s’enfermer une fois de plus dans une promesse de ce genre.
Mauroy est convaincu, aujourd’hui, que Mitterrand ne fera pasacte de candidature. Dans ce cas, plaide-t-il, Rocard peut se permettre d’être élégant. Dans le fond, il ne croit pas, il ne croit plus que Michel Rocard puisse être élu, s’il est candidat l’an prochain. « Il y a une petite chance, dit-il, pour que les communistes votent Mitterrand au deuxième tour, parce que, bon an mal an, ils se sont habitués à lui. Pour Michel Rocard ? Pas question ! »
26-27 janvier
J’accompagne Jacques Chirac en Alsace. Alors que je n’ai fait que l’entrevoir, depuis août dernier, même si j’ai régulièrement rencontré ses collaborateurs les plus proches, je le retrouve comme si nos conversations ne s’étaient jamais arrêtées. En montant dans l’avion, comme toujours lorsque je le suis dans un de ses déplacements en France, il me désigne le siège en face de
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