Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
s’empêcher d’agir comme s’il était encore candidat la prochaine fois !
18 ou 19 février
Je n’ai pas écrit la semaine dernière sur le séisme qui vient de ravager Canal +. Je ne suis pas une experte des grands pactes financiers, mais je sais par qui ils sont le plus souvent conçus : par les responsables politiques en général, et, dans ce cas particulier, par Matignon puisqu’il ne peut s’agir de l’Élysée. Donc, un pacte a été scellé derrière le dos d’André Rousselet entre Havas – où lui-même avait mis en place il y a des années Pierre Dauzier –, la Société Générale et la Générale des Eaux du puissant Guy Dejoigny. Stupéfait que le complot ait été monté contre lui sans que personne ne l’en prévienne 16 , Rousselet a claqué la porte en quittant la réunion du conseil d’administration de Havas. Il savait que, ce faisant, il serait bientôt obligé d’abandonner son enfant chéri, Canal +.
L’opération lancée contre lui remonte à plus longtemps, semble-t-il dire. Les ministres de la Culture et de la Communication Jacques Toubon et Alain Carignon étaient, depuis leur nomination, favorables à une reprise en main de la chaîne cryptée qui, après des débuts difficiles, était devenue un beau succès. Jacques Friedmann avait été chargé par le Premier ministre, dès son arrivée à Matignon, d’êtrele messager auprès de Rousselet. Le prétexte invoqué – vouloir construire autour de Havas un grand groupe audiovisuel international – n’avait été avancé que pour l’éliminer. Pis : Rousselet m’a raconté aujourd’hui au téléphone qu’il était lui-même, il y a quelques semaines, parvenu à mettre sur pied une alliance audiovisuelle avec des partenaires américains et européens qui aurait fait de son groupe le premier groupe européen et peut-être même mondial. Refus de Balladur, qui a dit à Nicolas Sarkozy : « Quoi, un regroupement de ce genre, autour de Rousselet, à six mois des élections ? Vous n’y pensez pas ! Pourquoi pas directement autour de Mitterrand ? »
Ce qui me paraît surprenant, c’est que la BNP, petit actionnaire de l’ensemble, a fini par marcher dans la combine : or René Thomas, compagnon de Laurence Soudet, est à sa tête ; il n’aurait jamais joué ce tour pendable à Rousselet, donc à Mitterrand, s’il avait pu faire autrement. Quelle pression a été exercée sur lui, si ce n’est la menace de son limogeage ?
Aujourd’hui, André Rousselet publie dans Le Monde un article intitulé : « Édouard m’a tuer », allusion à l’inscription « Omar m’a tuer 17 ». Article sec comme un coup de trique, écrit sous le coup de la colère – on serait ivre de rage à moins –, que je cite tant il dénonce en termes directs Édouard Balladur : « Cet homme, écrit-il, jour après jour tisse sa toile, plaçant aux commandes des plus grands groupes une quinzaine d’hommes 18 triés sur le volet de leur fidélité à sa seule personne, évinçant systématiquement tous ceux qui ne relèvent pas de la même obédience... 19 »
Au-delà de cet épisode avec Rousselet, je suis stupéfaite que Balladur ait osé déclencher une bataille de ce genre avec quelqu’un dont la France entière sait qu’il est l’ami intime du Président depuis de longues années. Il s’agit bien, si on voit les choses ainsi – et je lesvois ainsi –, d’un formidable accroc à la cohabitation. Plus qu’un accroc : une véritable déclaration de guerre à Mitterrand.
23 février
Charles Millon me raconte comment le déjeuner de la majorité, hier mardi, a, comme celui de Versailles l’été dernier, tourné au vinaigre. Au menu, après le plat unique, qui était un cassoulet, l’arrêt des essais nucléaires. Chirac n’a pas pris directement à partie Balladur, mais François Léotard, lui reprochant d’avoir manqué du courage nécessaire pour imposer à Mitterrand la reprise des essais nucléaires. Édouard Balladur y a vu une remise en cause de son attitude, jugée trop complaisante à l’égard du chef de l’État. Il est devenu livide, me dit Charles Millon, et a fait front : « C’est moi qui suis responsable, a-t-il dit ; François Léotard n’a été en l’occurrence qu’un exécutant. »
La colère de Balladur était d’autant plus grande – quoique, comme toujours, il ait conservé son extrême maîtrise de soi face à Chirac – que, depuis des mois, il est en
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