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Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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nuit
    Je garderai longtemps dans mon souvenir ces cérémonies commémorant la libération de Paris. Chirac avait raison, elles sont extraordinairement émouvantes. La plus importante a été organisée à la nuit tombée à l’Hôtel de Ville, là où, il y a cinquante ans, mon ami Roger Stéphane, un des plus jeunes héros de la Résistance, s’illustrait, les armes à la main, en risquant sa vie. Difficile, impossible même de ne pas penser à lui ce soir.
    Deux tribunes se font face sur la place de l’Hôtel de Ville, dans le sens de la largeur. Je suis dans la tribune opposée à celle où sont installés Chirac, Mitterrand, Balladur et Simone Veil. Derrière eux, aux places d’honneur, les combattants encore vivants qui participèrent à la libération de la capitale, dont Maurice Kriegel-Valrimont, bouleversé. La reconstitution des événements d’août 1944 est grandiose. Vraiment à couper le souffle ! Des rues voisines, du Bazar de l’Hôtel de Ville, des quais de la Seine, surgissent les 12 CV Citroën des FFI, les chars de la 2 e  DB, les autobus à impériale des années 1940, et cette foule, surtout, venue de tous côtés, vrais figurants ou Parisiens anonymes, à pied ou à vélo. Non, jamais je n’oublierai ces images-là.
    La cérémonie a commencé, comme il se doit, par les discours. À la tribune officielle, il y a aussi place pour l’émotion. D’abord parce que personne, parmi les présents, n’avait imaginé que la foule serait aussi enthousiaste, aussi émue, aussi patriote qu’elle l’est ce soir. Dans son discours, Édouard Balladur parle d’une période, celle de la collaboration, où le pays manqua singulièrement « de cohésion et d’unité ». Jacques Chirac est éloquent, ému : après avoir récité, devant les assistants triés sur le volet, un poème de René Char, il a quelques phrases gaulliennes sur l’esprit de la Résistance, la détermination de quelques-uns, la volonté qui peut faire des miracles, déplacer les montagnes, libérer les peuples asservis...
    Mitterrand, après lui, parle de l’unité des Français, de leur détermination, de leur victoire. Un discours sobre et grave : ce qu’il fallait ce soir. On n’est pas là pour parler de la France divisée de 1940, des résistants et des collaborateurs, de la police de Vichy ou de la rafle du Vel’d’Hiv.
    Plusieurs observations en marge de cette grande soirée. Juste avant que les milliers de figurants prévus n’envahissent la place, Chirac a conduit Mitterrand dans son bureau à l’intérieur de l’Hôtel de Ville.Leur absence ne devait durer que quelques minutes. Je me suis demandé, au début, quelle conversation fut celle des deux hommes pendant le long chemin qui sépare la place du bureau du maire de Paris. J’ai même pensé que le président de la République devait éprouver un malicieux plaisir à « tromper » son Premier ministre avec Jacques Chirac, à montrer qu’il pouvait exister, entre eux deux, une autre connivence. Et puis l’absence des deux hommes s’est prolongée à tel point que je me suis demandé si Mitterrand n’avait pas eu un malaise : cela m’a fait évidemment penser à ce jour où, à la Sorbonne, Mitterrand avait abandonné interminablement Philippe Séguin sur le plateau de TF1 pendant que son médecin, Claude Gubler, lui administrait je ne sais quelle potion magique pour le mettre en état de reprendre le cours de l’émission.
    Pendant tout ce temps qui n’en finissait pas, le Premier ministre est resté immobile dans son fauteuil tendu de rouge, figé dans le recueillement, sans que son visage trahisse impatience, étonnement ou inquiétude. Il n’en menait pas large, pourtant, imaginant sans doute le pire, comme nous le faisions tous.
    Et puis Mitterrand est revenu comme il était parti, pâle, très pâle et solennel. Aucune explication, bien sûr, n’a été donnée à son absence.
    Deuxième observation, plus politique. Les anciens résistants communistes, donc, avaient été conviés à participer à la commémoration de ces jours où ils avaient, eux, les armes à la main. Geste éminemment symbolique et politique. Il y a toujours eu, depuis la Résistance, un lien particulier entre les communistes et les gaullistes, comme si les combats de la guerre restaient, entre eux, une sorte de lien, tacite mais solide, au-delà du temps et des antagonismes politiques. Les anciens combattants communistes ne sont pas là par hasard, ou parce

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