Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
que Jacques Chirac serait gentil avec eux. Ils sont là parce qu’au second tour de l’élection présidentielle, et même peut-être dès le premier, ils feront la différence entre Chirac et Balladur. L’interprétation politique de l’ouverture de Chirac aux communistes a tout de suite sauté aux yeux perspicaces de Simone Veil qui a un instant pensé – me dira-t-elle après la cérémonie – s’en aller.
27-28 août
Jacques Delors et tous les siens sont à Lorient pour la rencontre annuelle des « transcourants », baptisés ainsi parce qu’il s’agit des amis de Jacques Delors appartenant à tous les courants du PS. Cette année, il y a évidemment foule, puisqu’après l’échec de Michel Rocard, tous les espoirs socialistes vont vers le président de la Commission de Bruxelles.
Pourquoi Lorient, pourquoi dans le port qui voit chaque année partir la course des monocoques à destination de Saint-Barthélemy ? Parce que la première réunion deloriste date de 1984. Yves Le Driant était, parmi les « transcourants », le seul alors à être maire d’une ville importante. Il a proposé aux partisans de Jacques Delors de se réunir chez lui. Par la suite, Lorient a été acceptée comme le lieu fondateur du delorisme. Lorient deviendra-t-elle, pour les socialistes deloristes, comme le Solutré de Mitterrand ? C’est la question que tout le monde se pose, gratin socialiste et journalistes, en se retrouvant dans le train, puis en arrivant, samedi, dans la cité du Morbihan. « Il n’y a ici que deux étages à monter, et pas une colline ! plaisante Le Driant en nous accueillant dans la salle de réunion située dans une petite bâtisse proche de la mer. Ce n’est pas un exploit ! »
On dit à juste titre que les courants divisent le Parti socialiste. Aujourd’hui, pourtant, se retrouvent ici les représentants de toutes les tendances qui s’étripent à d’autres moments rue de Solferino. En quelques minutes, je croise Jack Lang et Henri Weber (tendance Fabius), Line Cohen-Solal et Michel Delebarre (tendance Mauroy), François Hollande et Ségolène Royal (tendance Delors, les premiers même des deloristes), sous l’œil bienveillant de Maurice Bennassayag, venu depuis l’Élysée jeter un coup d’œil.
Arrivent en lever de rideau Martine Aubry, qui fuit les photographes, et Pascal Lamy, principal lieutenant, à Bruxelles, du président de la Commission européenne.
Jacques Delors n’entre dans la salle que vers 18 h 15, vêtu de son vieux blouson marron, quelques minutes après Jack Lang, pantalon noir, veste de couleur parme très clair. Les deux font un tabac.
Monique Lang, qui accompagne son mari, me dit d’un air convaincu que Delors ne pourra pas résister à la pression de ses amis. « Mais si Delors n’y va pas, me demande-t-elle, pourquoi pas Jack ? Lui au moins a montré qu’il savait faire campagne, et bien ! Avecdes idées et des caméras, avec des jeunes pour bouger, et des vieux pour regarder... »
Jacques Delors est en très bonne forme. Au fond, toute cette agitation, cette bousculade même ne sont pas pour lui déplaire, même s’il affecte de s’en étonner.
Les journalistes s’agglutinent autour de lui, d’autant plus qu’ils ont tous lu, dans le train, l’article d’Élisabeth Schemla dans le Nouvel Observateur de cette semaine : « Peut-il ne pas être candidat ? » À cette question, Élisabeth répond : « Il cédera. Au début de l’année 1995, Jacques Delors se déclarera candidat à l’élection présidentielle. Les socialistes n’ont pas d’autre champion à mettre en lice. » Elle décrit très bien le paradoxe de cet homme qui n’aime pas le pouvoir pour le pouvoir, qui est placé dans une situation sans précédent sous la V e République : « Il a des chances de l’emporter, et pourtant, c’est sous la contrainte qu’il participerait au tournoi présidentiel. »
J’ai soigneusement annoté, comme tous mes confrères, le papier du Nouvel Observateur dans le train. Et voilà donc pourquoi, aujourd’hui, nous sommes tous là.
Je m’amuse, à partir de maintenant, à relever, dans deux colonnes séparées de mon cahier, toutes les phrases lancées par Jacques Delors aux journalistes, toutes ses attitudes et déclarations qui, à mon sens, traduisent sa volonté de plonger dans la bataille présidentielle, d’un côté, et, de l’autre, celles qui l’en éloignent.
En faveur de l’engagement dans
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