Camarades de front
deux couleurs que j’ai appris à haïr, le vert des N. K. V. D. et le noir des gardes S. S.
Alte retira sa pipe de sa bouche et secoua la tête : – Camarade Gerhardt, nous te comprenons. Un bonnet de fourrure à croix verte peut aussi vous faire frissonner.
– Près de Boritzov nous devions nous débrouiller pour le ravitaillement. Il y avait de quoi manger dans le fleuve qui coulait tout contre le camp. Boritzov, c’est en Chine, une petite république soviétique minable.
– Quand il y a de quoi manger ça peut encore aller, dit Brandt en mordant dans une saucisse.
Stief le regarda longuement et prit une bonne gorgée de la bouteille de schnaps.
– Tu crois ? Connais-tu les poissons rouges ?
Le petit légionnaire se pencha au-dessus de la table et regarda intensément le docteur Stief.
– Ceux qui vous donne des vers dans le foie ?
– Il siffla longuement – Ils sont diablement raffinés à Boritzov. Ainsi tu as des parasites du foie, lieutenant ?
Stief acquiesça lentement : – Oui, et cela fait mal. On est rongé de l’intérieur ; les pilules qu’on vous donne ne font que prolonger la douleur. Des poissons rouges nous sommes passés aux mines de sel de Jaslanov. Vous savez, les grands déserts salés de l’Asie du Sud. Puis on nous envoya dans l’Oural. Marrosov, les usines de locomotives. Enfin un jour on rassembla les Allemands, Tchèques, Autrichiens, Polonais et on nous dirigea sur la prison de triage de Gorki, puis à Lemberg. Là, nous avons eu la surprise de notre vie. Les S. S. et les Soviétiques avaient organisé un véritable marché humain. Avec des cris et des rires méprisants nous fûmes remis aux S. S. contre ceux que les nazis remettaient aux Russes. Camarades, avez-vous essayé de rester accroupis pendant des heures ?
– Il prit une cigarette que Brandt lui avait jetée et aspira la fumée avec délices en fermant les yeux un instant. – Avez-vous été enfermés dans des wagons d’acier, si serrés que la moitié d’entre nous en étouffait ? Vous êtes-vous rendu compte combien un cadavre est mou quand on se tient dessus pendant des heures ? C’est la façon moderne de transporter la viande vivante.
Nous savions. Rien n’était exagéré. Torgau, oui, nous connaissions. Lengries aussi et Fort-Plive. Nous avions goûté de la dictature.
– Ne sont-ils pas pires chez les Soviets ? demanda l’ancien S. S.
– Ce sont exactement les mêmes gens. Au camp 487, en Oural, on nous donnait du poisson comme dans les camps de prisonniers d’il y a cent ans : un poisson pourri, salé et puant, le poisson tiulka qui pue vivant, il est né pourri. A Madjanek, c’était du pain rempli de vers, de morceaux de fer et de bois. Des prisonniers en mouraient étouffés. Etre battus avec des crosses de carabine ou avec le chat à neuf queues, c’est la même chose ; les Russes aussi se servaient de chaînes pour nous flageller îles reins, et ils exécutaient surtout avec un coup de nagan dans la nuque. Les S. S. préféraient une corde. Vois-tu, homme des S. S., c’est bien la même chose.
– Je ne suis pas un S. S., protesta Kraus.
Un fin sourire se dessina sur les lèvres de Stief : – C’est ce que beaucoup diront le jour du règlement de comptes.
Porta gronda : – Tous les S. S. et les N. K. V. D. étaient des volontaires. – Il montrait Kraus qui niait toujours. – Tu seras toujours un bandit S. S. et si nous ne t’avons pas tué maintenant, c’est parce qu’on te garde pour le grand soir, tout simplement.
Stief hocha la tête : – Ne sois pas si sanguinaire. Il a sûrement des cauchemars, c’est bien pire qu’être pendu. Donc, je continue : à Fort-Plive il nous fallait nous asseoir sur une longue planche quand nous voulions nous soulager ; celui qui tombait dans la fosse se noyait dans sa propre ordure. Les S. S. pariaient sur le temps qu’il lui faudrait avant de disparaître. Mais à Madjanek, chez les Russes, il y avait la même chose, beaucoup y sont restés, étouffés. Ils disparaissaient en gargouillant et en lâchant des bulles d’air.
Petit-Frère cracha un os d’oie et but une gorgée de bière : – A Bruckendorf 3, sous Torgau, il nous fallait pisser les uns sur les autres quand nous avions fait dans nos culottes ; les raves nous donnaient la colique.
Nous regardâmes le géant avec stupéfaction ; c’était la première fois qu’il parlait de son temps de prisonnier ; ce qu’il avait fait, où il
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