Camarades de front
mâchonnant sa pipe.
Petit-Frère fit une tournée de schnaps et nous bûmes longuement, avidement. C’était du feu qui coulait dans nos veines et avec l’alcool, la rage, le goût du sang. Petit-Frère cracha sur une feuille.
– Chiens salopards, tuons-les ! – Il frappait sur le manche de son couteau. – Allons-y, Alte ! dit-il d’une voix rauque.
Alte suçait toujours sa pipe. Tout à coup, un long cri perçant trancha le silence.
Instinctivement, nous nous aplatîmes encore davantage.
– Le vieux juif ne s’est pas caché assez bien, gémit Stege.
De nouveau le cri s’éleva, ce cri que nous connaissions tous pour l’avoir entendu dans les prisons et les camps.
– Qu’est-ce qu’ils lui font ? dit bêtement Brandt.
– La mort lente, aboya le légionnaire qui mit son lamce-flammes en position. Dans le Rif, nous nous vengions toujours quand les Noirs avaient taillé dans un des nôtres.
Il regardait Alte étendu derrière un buisson, qui fixait la hutte.
Le légionnaire allait continuer, lorsque soudain ils apparurent, traînant Gerhardt Stief. Le vieux juif était à quatre pattes et criait tout le temps. Les S. S. lui donnèrent des coups de pied et lui cassèrent un bras. Chaque geste nous brûlait le cerveau, nous devenions comme fous.
Ils firent quelque chose à sa figure et il s’effondra. Le grand Oberscharführer se pencha vers lui, un couteau à la main. Nous savions ce qu’il allait faire, nous l’avions déjà vu, et, malgré tout, cela nous surprenait toujours. Ce cri, ce long cri inhumain alors que le corps se détend comme un arc. Le membre encore vivant, jeté sur le sentier, descendait la pente, en sautillant.
Ils maintinrent sa tête sur le billot et le S. S. O. ne donna que deux coups de hache. Le sang gicla au loin. Ils rirent et firent un trou dans le fumier où ils enfouirent le corps avec la tête, puis ils se mirent en marche en chantant, et disparurent à travers les pins.
Stief sanglotait, Petit-Frère grondait, Alte suppliait presque : « soyez raisonnable » Mais le légionnaire sifflait comme un serpent.
Vive la Légion ! Comme dans le Rif !
Sa fureur prit comme un feu de forêt et la suite ne fut qu’une question de secondes. Les loups allaient avoir à se battre contre des loups pires encore, conduits par un fauve Marocain.
Tuer son semblable peut être parfois un soulagement.
Celui qui devait mourir s’effondra. Il gratta la terre de ses ongles et de ses pieds, ses yeux se fermèrent. Le légionnaire frappa la bouche qui haletait encore « Heil ! », et les membres du misérable furent déchiquetés par le peuplier brusquement détendu.
Le soleil monta lentement au-dessus de la crête de la montagne pour contempler la vengeance, et les malheureux d’Auschwitz durent se réjouir du passage de la justice.
VENGEANCE
TAPIS dans la montagne, nous attendions les meurtriers de Gerhardt.
L’idée de les tuer nous remplissait de joie, une joie qui me rappelait celle que j’éprouvais enfant, le jour de Noël, lorsque nous attendions derrière la porte encore fermée l’apparition de l’Arbre magique.
Stege pleurait, c’était l’âme tendre de la bande. Porta jurait, le petit légionnaire marmonnait des imprécations arabes.
L’endroit que nous avions choisi était une forteresse naturelle, une vraie souricière à S. S., un tir à la cible.
– Ce sera une vraie rigolade, dit Brandt le routier, qui suçait toujours sa dent creuse.
– Je scalperai le grand Ober, cria Julius Heide du haut de l’arbre où il faisait le guetteur.
– Non, Julius, ce sera moi, coupa Porta en embrassant son couteau.
– Vous êtes raides fous, interrompit Alte. Avez-vous imaginé les conséquences de ce que vous projetez ?
– Tu es un pâle, dit Porta en crachant par terre. Pas un d’entre eux ne rentrera chez sa mère, tu peux me croire, pour raconter ce qui s’est passé. Avant la nuit, les corbeaux leur auront tous bouffé les yeux.
– Imbéciles ! cria Alte avec colère. Vous ne voyez donc pas que c’est un assassinat !
Nous restâmes la bouche ouverte.
– Tu dis ? cria Porta en oubliant que le son s’entend très loin dans la montagne. Et comment appelles-tu ce que nous faisons depuis quatre ans, monsieur le feldwebel ?
– Idiot ! Jusqu’à présent tu as tué des ennemis, pas des compatriotes.
– Des ennemis ? ricana Porta. Moi je n’ai comme ennemis que les S. S.
Alte indigné sauta du
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