Camarades de front
nous n’en avons pas besoin dans l’armée allemande.
Le colonel devint blême.
– C’est votre dernier mot, mon général ?
Le général ne répondit pas mais se tourna vers l’officier de gendarmerie qui se tenait derrière lui. – Oberstleutnant Scholl…
Le colonel porta la main à son baudrier, tira son revolver et l’arma. Le général fit un pas en arrière et devint pâle comme un mort, tandis que l’officier de gendarmerie s’immobilisait, saisi. Toute la vie de la rocade sembla s’arrêter d’un seul coup.
Un mince sourire se dessina sur les lèvres du colonel.
– Ne craignez rien, mon général, vous êtes trop répugnant pour qu’on puisse même tirer sur vous, mais je refuse désormais de servir dans l’armée de l’Allemagne actuelle.
– Arrêtez-le ! aboya le général.
Avant que les gendarmes aient pu faire le moindre geste, le colonel mit le revolver dans sa bouche et tira. Il resta encore une seconde debout, au garde-à-vous, puis se balança d’avant en arrière et s’effondra comme un canif que l’on plie aux pieds du général.
Celui-ci pivota sur ses talons et s’assit dans sa voiture, où un adjudant lui recouvrit les jambes d’une couverture. On l’entendit dire à son chef d’état-major : – On rencontre beaucoup d’imbéciles en ce moment.
Les gendarmes firent verser les équipages de l’autre côté du talus, les chevaux hennissaient désespérément en roulant sur la pente ; on jeta le corps du colonel dans un camion et, peu après, la Horsch disparut le long de la route.
– Ben vrai ! s’écria le Prussien de l’Est. Ce colonel savait prendre congé !
Un hurlement de Petit-Frère l’interrompit.
– Un camion de notre division !
En effet, un gros camion bâché s’avançait, marqué de notre signe distinctif, deux croix blanches sur fond bleu, peint sur l’arrière et le pare-brise.
– Hé copain ! cria Bauer. Où vas-tu ? On peut monter ?
Le chauffeur, un obergefreiter, grogna sans nous regarder : – Je vais à Cologne, idiot !
– Où ? dit le légionnaire stupéfait.
– Tu as de la merde dans les oreilles ? J’ai dit Cologne. – Il épela le nom que tous s’arrêtèrent pour écouter et qui déclencha un tonnerre de rires.
– Tu as entendu, le cinglé qui veut aller à Cologne ?
– Oublie pas de changer de train à Breslau !
Les rires déferlaient. Un artilleur sauta sur le marchepied : – Tiens ! voilà un laissez-passer pour le prochain raccourci. – Et il jeta à l’homme une de ces feuilles que chaque soldat du front de l’Est avait dans sa poche malgré les punitions sévères. C’étaient des placards rédigés en forme de laissez-passer que les avions russes jetaient par tonneaux.
– Veux-tu nous emmener à Berlin ? clama le légionnaire. La prochaine station de métro, ça ira.
– Montez si ça vous fait plaisir, dit le soldat sans se troubler.
Il n’eut pas besoin de nous le dire deux fois. A travers la vitre cassée le Prussien de l’Est demanda au chauffeur :
– C’est sérieux, tu vas à Cologne ?
– Bien sûr, mission importante.
Il exhiba son ordre de marche et nous lûmes à notre stupeur qu’il allait en mission spéciale à Cologne en passant par Lemberg, Varsovie, Breslau, Berlin et Dortmund.
– Ça ! cria Bauer. De ma vie, j’ai rien vu de plus dingo ! Faire faire mille kilomètres à un vieux camion, même pour quelque chose d’important !
– Et quoi d’important ? demandèrent plusieurs voix.
– Des capotes anglaises pour les troupes du front, camarades !
D’autres soldats se hissaient dans le camion.
– La guerre sera bientôt finie, dit un sous-officier sale, en crachant sa chique sur la route.
– En attendant on continue ! ricana un petit fantassin tout blême.
– Savez-vous pourquoi Adolf ne se montre plus jamais au front ? Il a peur qu’on crie : Führer, nous te suivons ! et qu’on aille derrière lui jusqu’à Berlin !
Un soldat de dix-huit ans dont l’uniforme flambant neuf s’ornait des initiales H. J. (Jeunesses hitlériennes) se leva pâle comme un mort.
– Je vous défends de parler ainsi ! C’est du défaitisme. Je prends vos noms car c’est mon devoir de dénoncer ces propos séditieux.
Stein saisit le garçon par les épaules et le jeta au fond du véhicule.
– Ta gueule, demi-portion ! Les traîtres comme toi, on leur fait leur affaire !
Le gamin appelait à l’aide et, pour
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