Camarades de front
viennent d’être repliées sur des positions préparées à l’avance pour que notre action puisse , se dérouler conformément à mon plan. Les ennemis du peuple disent que ces rectifications sont une retraite, mais vous savez que là où se tiennent mes héroïques soldats, il n’y a pas de retraite ! Encore un petit effort et la victoire finale est à nous. Mais en attendant, soyez-en sûrs, la mort du héros sera la vôtre !
En levant le bras pour le « Heil ! », l’orateur perdit l’équilibre et roula sur le sol.
– Le Führer est tombé, dit Bauer.
Petit-Frère se faisait une cigarette avec beaucoup de soin. Pendant les quatre mois de son séjour à l’hôpital il avait consciencieusement ramassé tous les mégots à la ronde, et possédait maintenant un énorme sac de tabac. Sa pauvreté passée lui avait appris à ne rien laisser perdre, tout pouvait servir.
– Croyez-vous que j’aurai une permission si j’épouse Emma ? demanda-t-il en léchant le papier de la cigarette.
Le légionnaire éclata de rire : – Sûrement pas. Le Hauptfeldwebel Edel dira que tu es l’idiot du régiment et que les idiots ne doivent pas se marier. Ensuite, pourquoi faire une veuve d’une gentille fille ?
– Tais-toi ! D’abord Emma n’a rien d’une gentille fille. C’est un tank et elle peut en foutre une sur le nez du Hauptfeldwebel Edel qui ne s’en remettra jamais.
– Edel dira aussi, continua le légionnaire, que la mort du héros est ton unique chance, sinon après la guerre tu te retrouveras dans un camp d’extermination comme danger public !
Cette évocation nous fit faire la grimace.
– Je ne comprends pas, dit Petit-Frère.
– M’étonne pas, rigola Bauer.
– Je ne suis qu’un porc sorti d’une maison de redressement. Ma mère se foutait bien de nous autres gosses, quant au vieux je ne l’ai jamais connu que saoul. A l’internat on nous battait, et entretemps nous nous battions entre nous. Est-ce qu’il y en a un de vous qui sache ce que c’est qu’une maison de redressement ? – Personne ne répondit. – Non, je pensais bien. L’enfer. Il n’y avait pas d’école. Vous n’en aurez pas besoin, disait le principal, un défroqué de Thuringe d’il y avait très longtemps. On disait que la femme de l’organiste avait été sa maîtresse, aussi on l’avait foutu à la porte de l’Eglise de Thuringe. Et c’était vrai que c’était pas nécessaire de savoir lire et écrire pour tirer des poutres de fer ou creuser des fossés.
Après, je me fais soldat – car n’oubliez pas que je suis de l’active, pas un réserviste. On m’a dit : « Tu pars en guerre pour défendre la patrie. » Je me suis demandé pourquoi au fond je devrais défendre la patrie car elle n’a jamais été bonne pour moi, mais ce n’était pas non plus à cause de moi qu’on faisait la guerre. Je me suis donc mis à défendre la patrie. « Contre des barbares, des ennemis sans pitiés », qu’ils ont dit. Bon. Ainsi tu combats des barbares, des ennemis sans pitié. Ils doivent le savoir, là-haut, ils sont plus malins que toi, Petit-Frère. Toi, tu n’es qu’une pièce de bétail. j’ai tiré sur tout ce qu’on a voulu, me suis mis au garde-à-vous, quand on disait « File », je filais. Et ça pendant six ans où je me suis promené avec la poule nazie sur la poitrine.
Petit-Frère s’arrêta et nous regarda d’un air malin.
– Mais maintenant, y a du nouveau et ça me turlupine. Je suis fiancé et je vais avoir vingt-trois petits avec la meilleure femme du monde. – Il essuya d’une main rude son gros visage. – Y a quelque chose qui ne colle pas. L’autre là-bas, celui de Kharkov, Kiev, Sébastopol, et autres lieux où on a défendu la patrie, si tu lui dis : « Ecoute, Ivan Ivanovitch, pourquoi tu me tires dessus ? » Il dira : « Tovaritch Fritz, je ne m’en doute pas ! Le père Staline dit que je le dois. » Et bang ! Tu as un trou dans le crâne. – Petit-Frère se frappa le front. – Dites-moi si on n’est pas cinglés tous les deux ?
Le légionnaire regarda vivement autour de lui, ferma précipitamment la porte du couloir et dit brutalement :.
– Boucle-la, crétin ! Sinon ils te pendront, qu’Ivan te comprenne ou non.
– Mais c’est justement ça que je dis ! cria Petit-Frère. Partout on vous explique quand on doit faire quelque chose, mais id on ne fait que vous dire « La ferme ! Fais ce qu’on te dit, on tu
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