Camarades de front
de fauve, mais d’autres vinrent à la rescousse, frappant à coups de crosse la face en bouillie qui n’était plus qu’une masse sanglante de larmes et de gémissements.
Le sous-officier fut jeté dans un camion, et, parfaitement insensibles, les brutes continuèrent le contrôle. Un Oberfeldwebel inspecta nos papiers.
– Un régiment des troupes blindées de l’armée en mission spéciale ! murmura-t-il.
Il regarda le légionnaire et jeta à Petit-Frère un coup d’œil écrasant. Ses yeux allèrent ensuite de moi à Stein, puis au Prussien de l’Est.
– On fait un petit détour, hein, paresseux ! Ça m’a tout l’air de s’appeler une désertion, pas vrai ?
Ces mots nous donnèrent froid dans le dos. Le Tribunal d’exception n’écoutait pas les explications, le travail pressait ; deux minutes de délibération et c’était le peloton ou la corde.
– Dernière unité ? gronda-t-il en nous fixant.
– Hôpital de réserve 19, Hambourg, lança le légionnaire.
– Et maintenant vous voilà ici, détrousseurs de cadavres ? Vous pensiez peut-être attendre la fin de la guerre, hein ? – Il montra la porte et cria a un sous-officier qui tenait sa mitraillette braquée : – Occupe-toi de cette bande de cochons, suspects de désertion. Allez, en route !
On est cuits, pensai-je. Et je regardai Petit-Frère et le légionnaire blancs comme des linges, mais l’air indifférent, qui sortaient du bâtiment, poussés par une des brutes.
On nous fit monter dans un camion dont la bâche était fraîchement camouflée. Derrière nous, les téléphonistes trébuchaient.
– Place aux dames, dit un policier en riant. Il cracha sa chique en plein visage de l’une d’elles dont le visage se détourna instinctivement.
– Tête droite, la fille ! Tu auras l’occasion de la tourner, je te le promets !
Quatre infirmières sortirent en courant et l’une d’elles tomba, sur un croc-en-jambe du sous-officier. Un autre lui donna un coup de pied dans le dos. Elle poussa un cri-; et un grondement se fit entendre parmi nous.
– La ferme ! Salauds de déserteurs, glapit le lieutenant de police.
L’Ewald de Dora fut traîné, hurlant, vers le camion par deux brutes énormes. Le légionnaire chuchota : – Si on s’en tire, je prends du service chez Ivan pour pouvoir démolir ces bêtes fauves.
Une des bêtes fauves jeta un œil dans le camion, mais ne put voir qui avait parlé : – Silence, porcs !
Trois camions, pleins à craquer, se dirigèrent vers l’ancienne prison de la G. P. U. (Gestapo soviétique) au milieu de la ville, où nous fûmes accueillis à coups de pied et de jurons. De toutes les cellules humides et grises, bondées d’hommes et de femmes, montaient des gémissements, des malédictions et des prières. Un petit tirailleur maudissait en hurlant Hitler, Himmler, la guerre, Staline. Une des téléphonistes se mit nue et s’offrit à un policier, « si tu me laisses ensuite filer », chuchota-t-elle… Une paysanne russe, qui était sûre d’être fusillée parce qu’elle avait caché des déserteurs, criait fanatiquement sa haine de Hitler.
De l’autre côté du corridor, un capitaine agenouillé priait silencieusement. En combien de lieux Dieu fut-il invoqué durant cette guerre ? Partout, sans aucun doute, et avec la même ferveur, les prisonniers lui demandaient miséricorde. Je vis un général de division prier Dieu de l’aider contre les blindés russes lors de la débandade de ses troupes ; Hitler le nommait dans ses discours exaltant la grande Allemagne, pendant que les S. S. pendaient les prêtres dans les camps d’extermination. On criait le nom de Dieu dans les baraques sinistres, grouillantes de vermine, avant que la corde n’étrangle les cris. Des S. S. avec des objets volés plein leurs poches, condamnés à mort par les tribunaux d’exception, imploraient la miséricorde divine. Cela voulait dire qu’ils demandaient l’aide du Seigneur pour réintégrer l’uniforme nazi… Mais Dieu semblait n’entendre ni les condamnés à mort de la prison de la G. P. U., ni les prêtres des camps de concentration, ni le général aux prises avec les T. 34, ni les gémissements des amputés de l’hôpital.
L’un après l’autre furent traînés devant le tribunal d’exception tous les prisonniers qu’avaient faits les gendarmes et à tous on posa les mêmes questions. Nom, âge, régiment. Un chuchotement entre les trois juges, un
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