Camarades de front
d’acier, mais Heide lui fit signe de se méfier. Nous arrivions par derrière avec le lieutenant Ohlsen. Les brutes – trois feldgendarmes – furent d’abord soufflés à notre vue, mais ils devinrent vite insolents. Un uniforme inhabituel les faisait ressembler à de vagues fantassins. L’un d’eux, un lieutenant-colonel dans les cinquante ans, gros et gras, réclama brutalement l’ordre de marche du lieutenant qui en perdit le souffle.
Il y eut un instant de silence, puis l’officier parla de nouveau.
– Perdu la voix, lieutenant ? Ou avez-vous la comprenette dure ? Ce sont vos papiers que je veux voir pour me rendre compte de quel droit vous vous promenez dans la forêt.
– Mais quel ahuri ! glapit Heide.
– Silence ! gronda l’officier, la lèvre inférieure menaçante. – Le canon de sa mitraillette touchait la poitrine du lieutenant Ohlsen.
Au même instant une voix dure, brisant la paix de la forêt, retentit dans les broussailles derrière les gendarmes.
– Haut les mains !
A la vitesse de l’éclair trois paires de poings se levèrent et les armes tombèrent avec fracas sur le sol. Porta et le légionnaire sortirent du bois ; Porta avait la lourde mitrailleuse sur l’épaule et le légionnaire adressa un coup de pied au lieutenant-colonel.
– A genoux, bâtard ! Tu auras bientôt un derrière encore plus lourd.
Les deux sous-offs reçurent chacun une gifle de Petit-Frère : – A genoux, dit celui-ci.
– Laissez-les tranquilles… commença le lieutenant Ohlsen.
– Vous le paierez cher ! glapit le lieutenant-colonel. Vous savez que le paragraphe 987 punit de mort quiconque maltraite un gendarme dans l’exercice de ses fonctions.
– Et c’est la pendaison qui punit la désertion, coupa le lieutenant.
Les trois brutes ignoraient que nous avions rencontré Maria, car celle-ci les connaissait. Elle avait servi chez eux pendant quelque temps et les avait entendu dire qu’ils iraient se rendre aux Russes, déguisés en fantassins, après s’être laissé dépasser par l’offensive. Une fois l’arrière-pays devenu tranquille, ils pouvaient se donner pour communistes avec des papiers magnifiquement truqués. Après on verrait pour rejoindre les Balkans par les chemins de montagne. Maria savait qu’ils avaient les poches pleines de feuilles de marche vierges, avec la signature d’un général faite au tampon ; pour le lieutenant-colonel, un certain ordre de mission destiné à ouvrir toutes les portes.
– Tombés du char à fumier ? dit Porta railleur en piquant le lieutenant-colonel de son couteau de tranchée.
Un gargouillement sortit de la bouche de l’officier :
– Vous le paierez cher, salaud !
– On le saura sûrement avant le lever du soleil, mais à ce moment-là tu auras le cul froid, mon garçon. Petit-Frère meurt d’envie de t’étrangler.
– Assez ! dit le lieutenant. Fouillez-les, ajouta-t-il d’un ton bref.
– Je proteste ! hurla l’officier de gendarmerie. C’est une atteinte à l’honneur.
– Non, dit Petit-Frère, c’est le préliminaire à la pendaison.
Alte exhiba les papiers parmi lesquels on trouva trois affectations spéciales en blanc, munies de la signature d’un général.
– Tout est parfaitement clair, dit le lieutenant en brandissant la liasse.
Petit-Frère tendit le cou : – Dois-je les tuer, mon lieutenant ? – Il sortit de sa poche un long morceau de fil de fer et deux bouts de bois qui constituaient le lacet d’acier.
– Non ! cria le lieutenant avec colère. On les ramène dans-nos lignes. L, à où je commande il n’y a pas de ces prétendus tribunaux d’exception, tenez-vous-le pour dit.
Heide et le Gros reçurent l’ordre de ramener les trois hommes à la voiture où on les ligota, les mains derrière le dos. Ce fut à cet instant qu’ils aperçurent Maria. On les vit blêmir. Elle vint lentement vers eux, s’arrêta devant le gros gendarme et lui cracha à la figure en sifflant : – Tschort !
Maria avait subi ses caresses dans une hutte abandonnée du côté de la rocade. Comme elle se débattait il l’avait presque étranglée, lui avait arraché sa robe, et, lubrique, avait bavé sur elle en lui mordant la poitrine. C’était une grosse brute harnachée en officier qui bouillait d’un désir animal. Une fois satisfait, il avait passé la jeune femme à ses compagnons. Des lèvres du gros gendarme étaient sortis des mots d’amour qu’il croyait de rigueur
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