Camarades de front
quelque chose, il menaçait de tout te raconter. Il est menteur…
– Tout me raconter ? Je ne comprends pas. Que diable y a-t-il à raconter que je ne doive pas savoir ? Que ta famille dit du mal de moi, je le sais ! Que ta charmante sœur aime à se mêler de tout ce qui ne la regarde pas ? Cette grosse truie…
– Sois assez aimable pour m’épargner tes expressions, lança-t-elle en se redressant.
Il se pencha en arrière et se mit à rire. A rire comme un fou. Elle ouvrit la bouche.
– As-tu perdu la raison ?
Tout à coup son rire de dément cessa. Il la fixa d’un regard brûlant.
– Si le mot truie te choque, que penserais-tu de garce, putain, fille de joie ?
Elle se leva. Sa voix était très calme.
– Ça suffit, Bernt, va-t’en !
Elle montrait la porte d’un doigt où brillait un diamant :
– Ici, c’est la maison de mon père, ce n’est pas la tienne, tu n’as rien à y faire. C’est moi qu’il a recueillie, pas toi.
Le lieutenant jeta par terre son verre qui se brisa.
– Pourquoi n’as-tu pas ouvert quand j’ai sonné et frappé cette nuit ?
Dans sa fureur il approchait du visage de sa femme son propre visage ravagé. Elle le regardait tranquillement et il se rendit compte tout à coup qu’elle le méprisait, lui qui se tenait là, devant die, dans son uniforme déguenillé.
– Parce que ça ne m’arrangeait pas de t’ouvrir la porte. Tu dois t’en être rendu compte depuis longtemps.
Il étouffa… Son ventre se serra ; les rôles se renversaient. Ce n’était plus Inge qui était prise au piège, c’était lui. Son visage trahit une souffrance indicible. Inge ! Son Inge qu’il aimait tant lui disait tout tranquillement qu’elle n’avait pas voulu lui ouvrir… Elle ne plaidait pas coupable, elle n’expliquait rien. Tout peut se pardonner, même l’infidélité, mais elle ne demandait aucun pardon. Etait-ce la fin ? Oh ! mon Dieu, ne le permettez pas ! Il pouvait tout supporter, l’enfer russe, même s’il devait durer, il pouvait tout supporter mais pas la vie sans Inge ! Non, pas ça… Et son fils… Il haletait en plongeant jusqu’au fond du regard velouté. Elle lui rendit son regard sans reculer et passa une petite main soignée sur ses cheveux brillants.
– Pourquoi ne voulais-tu pas m’ouvrir, Inge ?
Toute sa rage était tombée, il ne restait que la peine, une peine atroce.
– J’ai trois semaines de permission.
Elle leva un sourcil, fit la moue, puis se dirigeant vers l’électrophone elle mit un disque.
– Parce que j’avais du monde, cher ami.
– Du monde ?
– Tu le sais sans doute fort bien. Je pense que tu es resté caché et que tu as vu sortir Willy ?
– Elle sourit.
Il acquiesça : – Oui.
Epuisé, il se laissa tomber sur un siège et tourna la tête.
– Tu veux que nous nous séparions ?
Il suivait le rythme de la musique :
« … Le monde ne meurt pas pour si peu… »
– Nous séparer ? dit elle en se. versant un verre de cognac. Je n’y avais pas pensé. C’est peut-être une idée. – Elle but à petites gorgées et mit une cigarette dans un long fume-cigarette serti de cinq petits diamants. – En tout cas, j’en ai assez d’attendre. Pour le moment, je suis amoureuse de Willy, mais il est possible qu’avec ta mentalité de soldat tu ne puisses pas comprendre que les femmes ne peuvent éternellement vivre seules. Notre mariage au fond a été une erreur.
– Tu disais que tu m’aimais, Inge, et nous avons eu Gunni.
Elle fumait fiévreusement et but encore. Une veine se gonfla sur son front.
– On dit tant de choses ! Combien y a-t-il de gens mariés qui s’aiment ? Le mariage devient une habitude. Si tu étais un peu large d’esprit et que tu n’en fasses pas un monde, tu aurais évité cette scène idiote et nous aurions pu vivre agréablement.
– Ses yeux étaient devenus mauvais, sa bouche raillait. – J’aurais pu coucher avec ceux qui me plaisaient et toi de même. Nous serions restés des amis, des amis avec alliances…
– Mais, Inge ! C’est monstrueux ! Ce n’est pas-possible !
– Pas possible ? – Le ton devint rauque. – Tu n’as même pas idée de ce qui est possible.
Il sentit une boule nouer sa gorge. Que s’était-il passé, mon Dieu ? Ce n’était pas son Inge qui parlait ainsi. Il redressa son baudrier, sentit la gaine du revolver et y reposa sa main tout en réfléchissant. Elle vit le geste et eut un sourire
Weitere Kostenlose Bücher