Cathares
maintiennent cette tradition encore vivante. Certains frères nous aident et, en échange, ils ont le privilège de vivre dans ces pierres millénaires.
Le père-abbé reprit sa marche à bonne allure pour arriver dans la salle capitulaire.
— Contrairement à ce que l’attitude du frère Armand a pu vous laisser supposer, notre Ordre a fait voeu de silence. Nous le respectons dans le cloître, le réfectoire et le dortoir. Seule la salle capitulaire permet l’échange de paroles.
— Et comment communiquez-vous ?
— Il n’est pas toujours nécessaire de parler pour se faire comprendre.
Dans la bouche du religieux, cette affirmation prenait des allures d’avertissement. Il ajouta :
— Mais certains frères maîtrisent la langue des signes quand le besoin l’exige.
Quand ils arrivèrent au cloître, ils croisèrent trois frères qui remontaient l’allée bordée de colonnettes en marbre ornées de chapiteaux sculptés de motifs végétaux. Le Bihan eut le regard attiré à la fois par les passants et par l’architecture. Le père-abbé s’en rendit compte.
— Rien ne vous échappe, dit le père-abbé. Voici justement trois frères convers qui nous assistent dans les travaux de jardinage. Pour ce qui est des chapiteaux du cloître, ils datent du douzième siècle et caractérisent notre Ordre. Chez les cisterciens, il n’est pas question de têtes humaines ou de gueules de monstres qui seraient de nature à troubler la concentration des moines. Il en va de même pour les visites impromptues.
Le Bihan se dit que le père-abbé ne désarmait pas. Il était bien décidé à lui faire payer jusqu’au bout son intrusion mal venue. Par une petite porte, les deux hommes pénétrèrent dans l’église dont l’ampleur des dimensions stupéfia Le Bihan.
— Quelle grandeur ! s’exclama-t-il.
— Oui, et tout cela pour moins de cent moines, répondit sobrement le père-abbé. Vanité des seigneurs qui tenaient à ce que les abbayes reflètent aussi leur propre richesse. Mais aujourd’hui, c’est nous qui en avons la charge. Puisque nous avons évoqué la question des subventions, nous avons ici de sérieux problèmes de toiture. Et vous ne serez pas étonné d’apprendre que nous manquons de moyens. Si vous êtes connaisseur, il ne vous aura pas échappé que cette église représente un rare chef-d’oeuvre du style gothique dans la région. Ce serait criminel de la laisser dans cet état.
Le Bihan sortit son petit calepin et un crayon. Il prit consciencieusement des notes pour crédibiliser son personnage de fonctionnaire du patrimoine. Mais il en fallait davantage pour que disparaisse la moue suspicieuse du père-abbé. Alors que celui-ci le raccompagnait à la sortie, il osa enfin aborder le sujet qui justifiait sa présence ici.
— Je vous remercie pour cette visite très intéressante. Je suis convaincu que le département sera sensible à votre demande.
— Nous prierons en ce sens.
— À propos, vous ne semblez pas avoir beaucoup souffert de la guerre. Vous avez été préservés des dommages ?
— Nous sommes ici pour servir Dieu pas pour nous occuper des affaires des hommes.
— Bien sûr, insista Le Bihan. Mais je suppose que vous avez eu des demandes, des pécheurs qui cherchaient un asile.
— Nous sommes de bons chrétiens et toute brebis égarée a pu trouver chez nous un havre de paix le temps de retrouver la sérénité.
— Toute brebis égarée ?
— Monsieur Lorel, je me vois malheureusement contraint de vous laisser. La prière m’attend. Vous connaissez la route, je pense.
Le père-abbé s’en retourna en fermant la lourde grille. Il ne porta pas le moindre regard sur Le Bihan. Le vent soufflait dans les branches des cyprès qui bordaient la longue allée conduisant à la route départementale.
55
Quelqu’un avait fouillé dans ses affaires. Le Bihan en était convaincu parce qu’il connaissait parfaitement son désordre au point de se souvenir de la position d’une feuille ou de la page où il avait laissé un livre ouvert. Ces détails le perturbaient beaucoup parce que si l’idée, louable au demeurant, avait été de ranger son bazar, la femme de chambre aurait probablement constitué de belles piles qu’elle aurait ensuite disposées de manière symétrique de part et d’autre du centre de la table. Mais le visiteur curieux n’avait pas agi de la sorte ; il s’était contenté de fouiller et de ne pas remettre les documents
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