Ce jour-là
T-shirts sont pliés au carré et empilés dans un coin. Les cintres sont disposés à intervalles réguliers.
Ça pourrait être mon placard, pensai-je.
Je saisis quelques chemises et un gilet que je fourre dans le sac. Je sais qu’on cherche des appareils électroniques, mais comme il n’y a rien de tel dans la chambre et les pièces attenantes, je me rabats sur ce que je trouve. J’ouvre le tiroir du bas de l’armoire, fouille parmi les affaires sans rien découvrir d’utile. La pièce est de toute évidence une chambre à coucher.
Avant de la quitter, je remarque une étagère placée juste au-dessus de la porte. C’est-à-dire juste au-dessus de l’endroit où il se tenait quand nous avons atteint le deuxième étage. Je glisse la main dessus et tombe sur deux armes : un AK-47 et un pistolet Makarov dans son étui. Je les attrape, examine les chargeurs et les chambres.
Vides.
Il ne s’était même pas préparé à se défendre. Il n’avait aucune intention de se battre. Pendant des dizaines d’années, il a exigé de ses partisans qu’ils endossent des vestes bourrées d’explosifs ou qu’ils jettent des avions sur des gratte-ciel, mais lui n’avait même pas pris son arme. Dans nos missions, nous avons rencontré ce phénomène fréquemment. Plus ils étaient haut placés dans la chaîne, plus ils étaient lâches. Les chefs sont ceux qui ont le moins envie de se battre. Ce sont toujours des jeunes influençables qui se font exploser.
Ben Laden a forcément compris que nous arrivions quand il a entendu les hélicoptères. J’éprouve davantage de respect pour Ahmed al-Kuwaiti : au moins dans l’annexe, il a essayé de se défendre, lui et sa famille. Ben Laden a eu plus de temps que les autres pour se préparer, et pourtant il n’a rien fait. Croyait-il seulement à son propre message ? Etait-il prêt à se battre dans la guerre qu’il avait lui-même déclarée ? Je ne le crois pas. Sinon, il aurait pris son arme, au moins par fidélité à ses convictions. Je trouve déshonorant d’envoyer des gens à la mort pour une cause que vous ne défendriez pas vous-même jusqu’au bout.
La radio donne régulièrement les mises à jour de l’équipe de sécurité du périmètre.
Ali et les quatre SEAL n’ont cessé d’assurer la sécurité le long de la route qui passe au nord-est de la résidence. Aussitôt en place, deux SEAL et Cairo, le chien de combat, ont inspecté l’extérieur du périmètre rapidement.
Après avoir patrouillé, ils attendent l’arrivée des curieux qui ne vont pas manquer d’être attirés par l’agitation. Les voisins ont entendu les hélicoptères, les explosions, les coups de feu. Quelques petits groupes se sont approchés de l’équipe de sécurité, se demandant ce qui se passe.
« Retournez chez vous, leur avait dit Ali en pachtoun. Il y a une opération de sécurité en cours. »
Par chance pour nous, les Pakistanais obéissent et rentrent chez eux. Quelques-uns postent des messages sur Twitter et parlent de bruit et d’hélicoptères.
Notre marge de temps se réduit sérieusement.
Mike, à la radio, donne le décompte des minutes qui restent. On est dans la résidence depuis presque trente minutes. Chaque fois, mes camarades du premier étage demandent une rallonge.
« Nous avons encore besoin de dix minutes, dit un des SEAL du premier étage. On n’en a même pas fait la moitié. »
Mike répète calmement son décompte. La mission est un exercice d’équilibre. Nous voulons rester pour nous assurer que nous ne laissons rien d’intéressant derrière nous, mais les hélicoptères vont manquer de carburant. Impossible de disposer de plus de temps.
« Après assaut, cinq minutes », dit Mike. Ce qui veut dire abandonner ce qu’on fait sur-le-champ pour être au point d’embarquement dans les cinq minutes.
Je sors avec l’impression de travail inachevé. On se flatte de toujours ramener la moindre bribe qui peut constituer une information intéressante. Il reste tant à faire ! On renonce à fouiller des secteurs entiers, et on oublie qu’il faut y renoncer. Nous avons tous conscience du risque de nous retrouver à court de carburant, ou de rester sur la cible trop longtemps, ce qui donnerait à la police et aux militaires le temps de réagir. Nous avons Ben Laden. C’est pour ça que nous sommes venus. Il est temps de filer tant que c’est encore possible.
« Sécurisez les femmes et les enfants et sortez-les du
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