Ce jour-là
comme une hystérique en se tenant le mollet.
Walt se tient près du corps. Il fait encore sombre. On distingue mal les traits de l’homme. La maison est toujours sans électricité. J’allume la lumière fixée à mon casque. La cible est sécurisée, les fenêtres sont masquées, personne ne peut nous voir de l’extérieur, donc je peux utiliser ma lampe sans risque.
Le visage de l’homme est mutilé et couvert de sang. Il a été touché par une balle au moins. Un trou dans le front a défoncé le côté droit de son crâne. Sa poitrine est déchiquetée par les balles. Il gît dans une flaque de sang qui grossit.
Je m’accroupis pour le regarder de plus près. Tom me rejoint.
« Je crois que c’est notre homme », dit-il.
Pas question de dire à la radio que c’est Ben Laden, car l’info serait transmise à Washington à la vitesse de l’éclair. Le président Obama écoute, et on ne veut pas commettre d’impair.
Je passe la check-list en revue dans ma tête.
Il est très grand. À vue d’œil, un bon mètre quatre-vingt-dix.
OK.
Il est le seul adulte de sexe masculin au second étage. OK.
Les deux messagers se trouvaient exactement là où la CIA avait dit qu’ils seraient.
OK.
Plus j’étudie son visage mutilé, plus je reviens sur le nez. Le nez est intact et paraît familier. Je sors le livret plastifié de mon kit et compare avec les photos. Le nez long et mince correspond. En revanche, sa barbe est noir corbeau, sans trace de fils gris.
« Walt et moi on s’en occupe, dis-je à Tom.
— Roger », répond Tom.
J’enfile mes gants en latex, je prends des photos pendant que Walt se prépare à relever des échantillons d’ADN. Au premier étage, nous sommes tombés sur deux pièces remplies d’ordinateurs, de cartes mémoire et de clefs USB.
Will, le SEAL arabophone, s’occupe de la blessure de la femme qui crie sur le lit. Nous apprenons plus tard quelle est Amal al-Fatah, la cinquième femme de Ben Laden. Je ne sais pas très bien quand elle a été blessée, mais sa blessure est infime ; sûrement une éraflure causée par un éclat de balle ou un ricochet.
« Nous avons une grosse quantité de SSE (13) au premier, crie quelqu’un sur notre réseau. Nous avons besoin de renforts. »
Tom quitte la pièce, mais je l’entends sur le réseau de commandement : « Nous avons peut-être marqué l’essai au deuxième étage, je dis bien, peut-être. »
Walt sort le tuyau CamelBak de son kit et arrose d’eau le visage de l’homme.
Je me sers d’une couverture pour essuyer le sang qui reste. Au fur et à mesure que je nettoie le visage, les traits m’apparaissent plus familiers. Il est plus jeune que dans mon imagination. Sa barbe est noire, comme s’il l’avait teinte. Je n’arrête pas de me dire qu’il ne ressemble pas à ce que j’imaginais.
Cela me fait bizarre de voir d’aussi près un visage aussi infâme. Gisant devant moi : la raison pour laquelle on se bat depuis dix ans. Il y a quelque chose de surréaliste à nettoyer le sang du visage de l’homme le plus recherché au monde, pour faire des photos. Je dois me concentrer : on va avoir besoin de photos de bonne qualité. La photo que je vais prendre va peut-être être diffusée dans le monde entier et je ne veux pas saboter le travail.
J’écarte la couverture. J’utilise l’appareil photo qui m’a servi à prendre des centaines de clichés ces dernières années, et je commence. À force de prendre ces photos, on est devenus bons. On a joué Les Experts en Afghanistan pendant des années.
Je commence par prendre le corps en entier. Puis je m’agenouille pour cadrer le visage tout seul. Je repousse sa barbe à droite et à gauche pour prendre les deux profils. Je tiens à ce que l’on voie bien le nez. À cause de la barbe, très sombre, les clichés de profil sont ceux qui resteront le plus ancrés dans ma mémoire.
Je dis à Walt : « Hé, vieux, tiens son bon œil ouvert. »
Il tire sur la paupière, expose un œil brun sans vie. Je zoome, et réalise une photo serrée. Pendant que nous prenons les photos, Will est avec les femmes et les enfants sur le balcon. À l’étage du dessous, nos camarades récoltent tout ce qui est ordinateurs, cartes mémoire, calepins, vidéos. À l’extérieur de la résidence, Ali, l’interprète de la CIA, et les responsables de la sécurité s’occupent des voisins curieux.
À la radio, j’entends Mike parler du Black Hawk
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