Ce jour-là
n’est facile à porter pour personne, mais c’est encore pire pour Walt qui a du mal à rester debout : avec son mètre soixante-cinq, sa foulée est beaucoup plus courte que la nôtre.
Tous les deux ou trois pas, il trébuche sur une motte. Il lance des torrents d’injures, se relève et reprend la course.
On passe en courant sous le rotor, on jette le corps sur le plancher et on se hisse à bord à toute vitesse. Je trouve une place derrière les sièges des pilotes. La course nous a achevés. Je halète, avalant de grandes goulées d’air.
Putain de merde, on va enfin boucler ce dossier, me dis-je.
Mais le Black Hawk ne décolle pas tout de suite dans le ciel nocturne. Ce n’est pas normal. Je commence à angoisser. En Afghanistan, les hélicoptères décollent alors qu’il y a encore une botte sur le sol. Plus nous attendons, plus nous nous exposons à recevoir une roquette.
Je n’arrête pas de me dire : Vas-y, vas-y, vas-y Vas-y, mon vieux, fonce !
Mais le Black Hawk attend. Il ralentit même la vitesse du rotor. Les pilotes ne veulent pas décoller avant l’arrivée du Chinook. Ils aiment bien voler en binôme. Les explosifs placés dans l’épave de l’autre Black Hawk vont sauter d’un instant à l’autre. L’artificier a réglé le détonateur à cinq minutes. Ce qui aurait largement suffi si nous n’attendions pas l’autre hélico.
On est en retard. On a dépassé le temps limite de huit minutes. Nous avions prévu un battement de dix minutes supplémentaires, mais on va les dépasser aussi.
On suppose que la police et l’armée pakistanaises sont en route pour comprendre ce qui se passe. Nous sommes une force militaire étrangère, qui vient de violer la frontière d’un pays souverain. L’expression, sur le visage de Tom, trahit son anxiété. Par la radio de l’hélico, il essaie de savoir ce qui se passe. Il veut que les pilotes dégagent le plus vite possible.
« On y va. On décolle sur-le-champ », dit-il.
Il reste moins d’une minute avant l’explosion de l’épave du Black Hawk. Le SEAL qui a posé les charges avec l’artificier court jusqu’à Jay et lui attrape le bras. Tous deux attendent l’arrivée du Chinook sur la zone d’atterrissage. Jay est tellement obnubilé par la nécessité d’assurer la sécurité des hélicoptères qu’il n’a même pas entendu qu’on l’appelle.
« Dis au Chinook de ne pas se poser ! Il faut que tous les appareils dégagent tout de suite ! Ça explose dans trente secondes ! »
Jay parle dans sa radio. Il sait que l’explosion va déstabiliser l’assiette du Chinook en approche et que la projection des débris va détruire le Black Hawk.
Enfin, les rotors montent en régime et le Black Hawk décolle rapidement, vire au nord-est, et prend de la vitesse. Quelques secondes après le décollage, on voit un grand éclair de lumière. La cabine est violemment éclairée pendant un instant, et l’obscurité retombe.
Le Chinook décrit une courbe par le sud et atterrit tout de suite après l’explosion. Le reste des SEAL et les pilotes s’entassent dans la cabine. Avec tout le carburant gaspillé à attendre, le gros hélicoptère n’a pas une seconde à perdre. Et avec le poids supplémentaire des SEAL qu’il vient d’embarquer, il en a juste assez pour revenir tout droit à Jalalabad.
Je ferme les yeux et prends une profonde inspiration. Il fait noir dans la cabine. Les seules lumières sont celles du tableau de bord ; d’où je suis, je vois quelques-uns des appareils de contrôle, dont la jauge de carburant.
Au moment même où je pense pouvoir me détendre, je remarque que cette jauge clignote. Je ne suis pas pilote, mais j’en sais assez pour comprendre qu’un voyant rouge qui clignote dans un cockpit n’est jamais très bon signe.
17
E XFILTRATION
Je ne peux pas détacher les yeux du voyant rouge dans le cockpit.
On nous a dit aux briefings qu’il fallait dix minutes pour rejoindre le site de ravitaillement. Le Black Hawk s’incline fortement et décrit des grands cercles – comme l’eau quand elle s’évacue dans un évier. On tourne autour d’un point précis. Les chefs de bord sont près des portières et surveillent le sol. Le voyant rouge a l’air de s’affaiblir.
On est encore serrés comme des sardines. Tom est assis à côté de moi. Walt a été obligé de s’asseoir sur le corps de Ben Laden qui se trouve à mes pieds, au centre de la cabine.
Peu après le décollage,
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