Ce jour-là
périmètre », dit Mike à la radio.
Will essaie de convaincre les femmes de sortir. Nous ne voulons pas quelles s’aventurent jusqu’à l’hélicoptère avant son explosion. Mais autant vouloir rassembler des chats et Will n’obtient rien. Les femmes sanglotent et crient, les enfants pleurent, sous le choc. Aucun ne veut bouger.
Je n’ai pas le temps de l’aider. Je dois aller en C1. Je suis la trace sanglante laissée par le corps de Ben Laden jusqu’au rez-de-chaussée, où Walt l’a mis dans un sac spécial. Ils ont fait passer le cadavre sur celui de Khalid, et le fils a du sang de son père sur sa chemise blanche.
J’arrive en C1, où d’autres SEAL ont pris des photos d’Ahmed al-Kuwaiti. Sa femme et ses enfants sont accroupis dans un coin de la cour. J’essaie de les faire se relever lorsqu’il y a un appel urgent de Mike à la radio.
« Hé les gars, laissez tout tomber et rappliquez pour exfiltration HLZ [ Helicopter Landing Zone ]. »
Leurs réservoirs déjà bien entamés, le Black Hawk et le Chinook arrivent pour nous récupérer. M’aidant de gestes, je finis par convaincre la famille d’Ahmed al-Kuwaiti de se lever et je la fais entrer dans l’annexe. L’explosion de l’hélicoptère est imminente. Elle va être très violente, mais l’annexe en est suffisamment éloignée. La famille sera en sécurité si elle reste où elle est.
Une fois à l’intérieur, j’essaie de leur faire comprendre qu’il va y avoir une violente explosion, je mets les mains devant la bouche, je les écarte et je fais « Boum ! ».
J’ajoute en anglais « Restez ici ».
J’ignore s’ils ont compris. Je quitte la pièce et ferme la porte derrière moi.
Courant dans l’allée creusée d’ornières, je vois Teddy et son copilote près de Mike. Ils sont presque comiques avec leur gros casque d’aviateur et leur uniforme de combat de l’armée. Ils ont l’air perdus hors de leur élément, mal à l’aise au sol.
J’avertis Mike en passant : « Les femmes et les enfants sont en C1. Impossible de les amener ailleurs. »
Les SEAL du premier étage évacuent le bâtiment. On dirait un camp de bohémiens, ou des pères Noël à la veille de Noël : les types se dandinent avec des filets remplis à l’épaule. Un des SEAL tient un disque dur dans une main, un gros sac de gym en cuir qui déborde de l’autre. Ils ont recueilli tellement de choses qu’ils se sont retrouvés à court de filets et ont utilisé les sacs trouvés sur place. Certains ont des serviettes en cuir des années cinquante, comme s’ils allaient au bureau, d’autres ont pris des sacs de sport Adidas, on dirait qu’ils sortent de la salle de sport.
Je tourne à droite après le portail et cours rejoindre les types qui se mettent en file et se préparent à embarquer. Les snipers ont déjà délimité la zone d’atterrissage. Mon unité – Chalk One – sera exfiltrée sur le Black Hawk car nous avons le corps. Plus petit et plus maniable, le Black Hawk a moins de risque de se faire descendre. Le CH-47 Chinook prendra tous les SEAL de Chalk Two avec Teddy et l’équipage du Black Hawk accidenté.
Les lumières sont allumées partout dans les maisons des environs. Les gens nous observent depuis leurs fenêtres. Ali leur crie en pachtoun de rester chez eux. Nous comptons les hommes. Il en manque un : Will.
« Où est Will ? je demande en remontant la file.
— Il s’occupait des femmes et des enfants quand nous sommes partis », me répond Walt, à côté du sac où repose le corps.
Je suis sur le point d’appeler Will par radio pour savoir où il est lorsqu’il sort en courant du portail. Il est le dernier à quitter les lieux.
Je reprends ma place à côté de Walt et du sac mortuaire. Le Black Hawk arrive, droit sur les signaux infrarouges de la zone d’atterrissage. Je baisse la tête pour me protéger du nuage de poussière et de débris quand l’appareil est sur le point de se poser. Le nuage passé, nous prenons le corps et nous courons à l’hélicoptère comme des dératés. C’est notre passeport pour la liberté. Pas question de le manquer.
Le champ vient d’être labouré et nous ne cessons de trébucher et de tomber sur des mottes qui mesurent bien quarante centimètres de haut. Nous avons une centaine de mètres à parcourir en courant, tout en portant le corps d’un mètre quatre-vingt-dix. À force de trébucher et de tomber, on ressemble à des ivrognes.
Un poids mort
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