Ce jour-là
mécaniciens.
Le vol du retour est retardé de quelques heures et nous en profitons pour nous installer un peu. Le garage lui-même est jonché de pièces détachées, d’outils et de véhicules à tous les stades de réparation. Mais il y a aussi une salle d’attente et de repos. Le SEAL qui dirige la boutique nous accueille à bras ouverts.
« Qu’est-ce qu’il vous faut ? » nous demande-t-il.
Au milieu de leurs bâtiments modulaires et de leur garage couvert, ils s’étaient aménagé un petit patio avec un four à pizza en brique et un grand gril à gaz. Walt fait le tour du patio en offrant à la ronde les cigares que le NRA (18) lui avait envoyés des semaines auparavant, pour l’accueillir après son dernier déploiement. Ils ne pouvaient se douter que nous les fumerions pour célébrer l’opération qui s’est soldée par la mort de Ben Laden.
Tout le monde est là sauf Jay, Mike et Tom. Les responsables de la mission sont toujours de l’autre côté de l’aéroport pour briefer l’amiral McRaven.
Nous avons passé le plus clair du temps dans le patio, à profiter du doux soleil du printemps. Les Seabees (19) qui logent sur place ont lancé le gril et nous ont préparé des steaks et des homards chouravés dans les frigos du réfectoire. Des odeurs de pop-corn et de pizzas qui sortent du four me chatouillent les narines.
Je somnole lorsque quelqu’un s’écrie : « Les mecs, vous n’allez jamais croire cette connerie ! L’info est sortie ! »
Le responsable du service de sécurité du périmètre avait eu la curiosité de regarder les chaînes d’infos sur son ordinateur. Il a fallu moins de quatre heures avant que la nouvelle se répande : ce sont les SEAL qui ont accompli la mission. Puis les SEAL du DEVGRU, basé à Virginia Beach.
La mission était restée secrète pendant presque un mois et maintenant l’info circulait partout. La foule se rassemblait spontanément devant la Maison-Blanche, à Ground Zéro, devant le Pentagone. Pendant un match de base-ball à Philadelphie, le public a scandé « U-S-A ! ». Les commentateurs remarquaient à quel point tous ces gens étaient jeunes. Des jeunes qui ne savaient même pas comment étaient les États-Unis avant le 11 septembre 2001.
En voyant ce déferlement de folie à la télé, nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander ce que pensent nos familles et nos amis, à la maison. Personne ne sait que je suis en Afghanistan. J’ai dit à mes parents que je partais pour un entraînement, et qu’ils ne pourraient pas me contacter par téléphone. Je suis sûr que tout le monde essaie de me joindre sur le portable pour savoir où je suis.
Le soleil est bon pendant que nous dévorons, confortablement assis. Rassasié, je ne pense plus qu’à une chose : dormir. Le bus revient quelques heures plus tard pour nous transporter à l’avion. L’adrénaline s’est dissipée et nous montons à bord en nous traînant.
Il n’y avait que nous et l’équipage du C-17.
On commence par charger nos conteneurs et nous suivons, installant tout de suite nos matelas en mousse sur le pont de l’appareil. Les chefs d’équipe discutent avec les pilotes. Les vols sur les C-17 de l’Air Force sont soit géniaux, soit nuls. On tombe parfois sur un équipage cool qui nous laisse dormir où on veut, tandis que d’autres suivent les instructions à la lettre et nous obligent à rester assis.
Alors que les moteurs tournent déjà, le chef de bord parle dans l’interphone.
« Hé les gars, pas d’escale en Allemagne. Nous serons ravitaillés en vol pendant le trajet qui nous ramène au pays. Vous pouvez dormir. »
Ils ont évidemment compris qui sont leurs passagers et l’équipage a estimé que nous avions bien mérité de nous reposer. D’ordinaire, on s’arrête en Allemagne pour refaire le plein. Tout le monde avait bien mangé, l’équipage était cool et nous allions faire un vol sans escale. À ce stade, nous étions debout depuis presque vingt-quatre heures. Le C-17 décolle en douceur et prend la direction de l’ouest.
Nous sommes fourbus.
La tempête médiatique que nous venons de voir se déclencher à la télé et sur Internet prend des proportions homériques. Personne, apparemment, ne s’y était préparé. Mais alors que je m’allonge sur le pont du C-17, je n’ai pas assez d’énergie pour m’en préoccuper. Mon esprit a besoin d’une coupure.
Je prends deux somnifères, et je dors déjà
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