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C'était de Gaulle, tome 3

C'était de Gaulle, tome 3

Titel: C'était de Gaulle, tome 3 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
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prenant acte de votre Révolution tranquille et de l'émancipation qu'elle vous a déjà permise ? Ou bien comme une manière de vous inciter àprendre dorénavant votre destin en main ? Si le Québec est devenu libre, ce n'est qu'une constatation. S'il lui reste à le devenir désormais, c'est une exhortation.
    Johnson. — C'est les deux à la fois. Les Québécois savent bien qu'ils ont été longtemps tenus par le peuple vainqueur dans une situation coloniale et qu'ils sont en train de s'en arracher ; mais ils avaient besoin d'être encouragés ; et ils ne pouvaient pas l'être plus qu'ils ne l'ont été. »
    Mais il me dit aussi : « Vous savez ce que, pendant deux cents ans, nous n'avons pas pardonné aux Français ? Ce n'est pas seulement qu'ils nous aient abandonnés. C'est qu'ils nous aient sacrifiés au profit des Antilles et des comptoirs de l'Inde. Le sucre et les épices, ça rapportait plus que les fourrures des trappeurs. Ça, nous ne l'avons pas oublié. »
    Il rêve tout haut à ce qui aurait pu se passer au XVII e siècle, si Louis XIII et Louis XIV n'avaient pas été aussi sectaires : « Dire que les soixante mille paysans français, abandonnés à eux-mêmes au traité de Paris de 1763, descendaient de six mille paysans de l'Ouest de la France qui s'étaient décuplés en un siècle et qui sont le seul apport de la France au Canada ! Quel dommage que Richelieu et ses successeurs aient interdit aux huguenots de s'installer au Nouveau Monde ! Un demi-million de protestants persécutés n'auraient pas été obligés de chercher refuge à l'étranger et de s'y noyer, si on les avait laissés coloniser l'Amérique du Nord.
    « Le Royaume-Uni et les Pays-Bas facilitaient l'immigration outre-Atlantique à tous leurs dissidents. En France, la monarchie absolue a refusé cette issue à ses "religionnaires ", elle les a bannis et dispersés ! Alors que la Nouvelle-France, du Saint-Laurent jusqu'à la Louisiane, était une terre presque vierge à peupler ! Toute cette substance française a été perdue pour la France ! (Il reprend l'expression du Général ; ils ont dû aborder ce thème dans leurs tête-à-tête.) Elle aurait dominé sans mal les Anglais de Nouvelle-Angleterre. Ce sont au contraire les Anglo-Saxons qui nous dominent, à quarante contre un, parce que nos souverains ont été intolérants jusque dans l'exil. Si nos bons rois avaient été mieux avisés, les premiers hommes sur la Lune n'auraient pas parlé anglais, mais français. »
    Le Premier ministre refait ainsi l'histoire avec des « si ». Je joue à l'accompagner un instant dans cette reconstruction rétrospective : « Sans compter que nos six mille colons du XVII e siècle étaient surtout de pauvres croquants, alors que le demi-million de protestants émigrés ou chassés de France étaient riches de savoir-faire technique, économique, financier. »
    Marcel Masse me raccompagne à l'aéroport de Dorval, où un petit avion va m'amener à Québec. Il me raconte : « Sur le Chemin du Roy, à chaque arrêt, le Général saluait le Premier ministre dutitre : "Mon ami Johnson" ; celui-ci rayonnait comme s'il venait d'être sacré à Reims. »
    La puissance d'évocation et de rêve qui émanait des propos du Général faisait revivre toutes les splendeurs du passé commun, pour en effacer les médiocrités.

    Lundi 11 septembre 1967.
    Dans mon lit du Château-Frontenac, je suis réveillé de bonne heure par un coup de téléphone du ministre canadien des Affaires extérieures. Il a fait lui-même le numéro, de peur que je ne me dérobe devant sa secrétaire. « Ici Paul Martin. (Comme le Général me l'avait suggéré, la prononciation diffère suivant l'interlocuteur.) Je vous appelle d'Ottawa. J'apprends que vous êtes arrivé hier soir au Canada. Naturellement, nous vous attendons dans la capitale fédérale. » Il doit se contenter de ma réponse dilatoire. Il insiste : « Certains nuages, qui se sont élevés au-dessus des relations entre nos deux pays, seraient aussitôt dissipés. »
    Michel Debré est allé à Ottawa et à Québec en janvier 1967 pour y recevoir un doctorat honoris causa. Il a demandé à voir Martin, ministre des Affaires extérieures, qui n'a pas cru devoir le recevoir, bien que Debré soit ancien Premier ministre et ministre en exercice de l'Economie et des Finances. Et voilà que le même Martin me conjure de venir le voir après mon passage à Québec. Le « Québec libre » a fait merveille.

    Autour d'un

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