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C'était de Gaulle, tome 3

C'était de Gaulle, tome 3

Titel: C'était de Gaulle, tome 3 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
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risquerait de devenir sanglant.
    Mes collaborateurs partagent mon sentiment : il est indispensable de ne pas laisser les ondes aux seuls émeutiers. Le silence du gouvernement devenant oppressant, un appel aurait au moins l'avantage de rassurer les auditeurs. Il me paraît essentiel d'annoncer l'assaut et de mettre chacun devant ses responsabilités. Je griffonne un appel :

    « Aucun gouvernement digne de ce nom ne laisserait un quartier de Paris se transformer en camp retranché. L'assaut sera donné dans un moment aux barricades qui viennent d'être dressées. Je vous conjure de ne pas vous livrer à des actions de force, qui de toute façon, n'empêcheront pas le service d'ordre de faire son devoir. Ne vous laissez pas prendre à ce jeu dangereux !
    « L'Université et l'enseignement ne seront pas rénovés dans des affrontements de rue. Le gouvernement prendra des initiatives dans les prochains jours pour que toutes les revendications soient examinées avec bienveillance dans le dialogue et dans le calme, et que les transformations indispensables soient apportées à la vie universitaire. Étudiants, lycéens, ne cédez pas à la griserie de la violence !Vous avez mieux à faire, nous avons tous mieux à faire, dans l'intérêt de l'Université et de la France ! »
    Je lis ce texte à Joxe, qui me donne son accord, mais me demande d'obtenir l'accord de Grimaud, « qui a la charge de la manoeuvre ». J'appelle Grimaud, qui refuse net : un avertissement public n'a aucune chance d'aboutir à la dispersion des manifestants, et il enlèverait aux assaillants le bénéfice de la surprise, qui est essentiel. Joxe lui donne raison : « Ce n'est pas au pouvoir civil de compliquer la tâche de la police. »
    Vers 2 heures, quand les derniers métros ont emporté leur lot de gamins, la parole est à la force — celle de l'ordre et celle de l'émeute. Policiers, gendarmes et CRS font leur ouvrage. Les barricades sont emportées l'une après l'autre, sans les morts redoutés ou espérés.
    À 3 heures 15, je me rends à l'Intérieur, place Beauvau. Dans le bureau de Fouchet, très à l'aise, je retrouve Joxe, Debré, Gorse, et ceux qui ont vu le Général le plus tard dans la soirée : Tricot et Foccart. Dannaud va et vient entre son bureau et celui de son ministre. Fouchet donne des instructions à Grimaud, s'entretient au téléphone avec un « M. le professeur », dont il dit en raccrochant : « Kastler vient de se faire poliment tutoyer. »

    Grimaud : « Ainsi, vous protégez les gauchistes »
    Vers 4 heures 30, je rentre rue de Grenelle. Pouthier 6 m'y appelle pour me supplier d'obtenir que la police ne pénètre pas dans l'Ecole normale supérieure, rue d'Ulm, où refluent en rangs serrés des combattants, éclopés ou non, normaliens ou non. J'appelle aussitôt Grimaud pour lui demander de considérer l'École comme un sanctuaire. Un peu goguenard, il accepte de prescrire à ses hommes de s'arrêter au seuil de la grille, malgré l'immense envie qu'ils ont de procéder à des interpellations à l'intérieur de l'École : « Ainsi, vous protégez les gauchistes et les maoïstes les plus acharnés, ceux qui ont donné l'exemple pour dresser les barricades ! »
    À peine avais-je raccroché, que je prends soudain conscience de ma contradiction : me voilà pris en flagrant délit de vouloir sanctuariser le cloître de la rue d'Ulm, alors que j'ai démontré à l'Assemblée, voici deux jours, l'inanité de ceux qui prennent la cour de la Sorbonne pour un sanctuaire. À mon tour, j'ai cédé au travers corporatiste auquel cèdent les professeurs et étudiants de la Sorbonne : de croire que leur corporation est d'une autre essence, et peut donc vivre au-dessus des lois. La seule différence est queles chers professeurs ont convaincu la France entière, par radios et télévisions interposées, qu'on n'avait pas commis pareil viol de la Sorbonne depuis le Moyen Âge ; alors que mon intervention discrète en faveur de Normale passe inaperçue.
    Je reçois de nouveau Marangé et Daubard, qui viennent me rendre compte de l'échec de leurs bons offices. Il y a des moments où le bon sens n'a pas droit à la parole. Pourtant, nous décidons ensemble de renouer les fils, en terrain neutre, à la Maison des instituteurs : Pelletier et Olmer y rencontreraient Geismar et Sauvageot, ce matin à 11 heures.
    La nuit a été blanche, pour les policiers, les manifestants et les ministres — à tous les niveaux. Sauf celui du Général.

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