C'était de Gaulle, tome 3
que vous preniez des responsabilitésdans la prochaine Chambre, en attendant de revenir aux affaires. »
La « Chambre », pour lui, ce ne sont pas les « affaires », ce sont les parlotes, les discutailleries, les combinaisons de couloirs. C'est le purgatoire. Les « affaires », c'est le gouvernement.
Encore faut-il faire élire une bonne Chambre. Sans faire allusion à mon cas personnel, je le rassure sur l'ensemble.
AP : « Je ne suis pas soucieux pour ces élections. Depuis le début, je sentais que le pays profond, en dehors des noyaux organisés, ne marchait pas pour la révolution. Vous avez donné le coup d'arrêt le 30 mai. Le peuple va donner le coup de grâce. »
Il répète : « Nous verrons bien. »
Superstition ? Humilité ? Il ne veut pas se laisser aller à des impressions optimistes, et laisse l'avenir à Dieu.
Cette invitation à retourner le voir me réchauffe le coeur. Sa lettre de consolation, il était bien dans sa manière de l'envoyer à un de ses ministres un jour où il le savait peiné. Mais l'invitation à lui « raconter ma campagne », je ne m'y attendais pas.
1 Voir supra , ch. 21, p. 551.
2 Qui sera ministre des Armées sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing.
3 Le chef d'état-major particulier ; Foccart ; le directeur de cabinet, La Chevalerie. Le secrétaire général, Tricot, passe toujours le dernier..
Chapitre 4
« IL FALLAIT AUSSI QUE JE M'ASSURE DE MOI-MÊME »
Élysée , vendredi 14 juin 1968 .
La campagne bat son plein 1 et je viens raconter la mienne au Général qui n'a pas oublié sa promesse.
L'Odéon a été évacué au petit matin, sans aucune résistance. Le Général sera de bonne humeur.
En voiture, je repasse ma leçon. J'aimerais bien le questionner sur la mystérieuse journée du 29. Mais il n'est pas commode, avec lui, de forcer la confidence. Joxe m'a raconté qu'il a voulu le « cuisiner », lors de son audience de congé : « Il m'a envoyé sur les roses. » Le faire parler si vite sur un sujet aussi secret, c'était évidemment une fausse manoeuvre. Après quinze jours, s'ouvrira-t-il plus facilement ?
« Je vous interdis de dire quoi que ce soit même à Pompidou et à Messmer »
Salon des aides de camp.
Arrivant de Provins, je suis largement en avance, ce qui me laisse le temps d'échanger quelques propos avec Flohic.
AP : « Astoux 2 , qui est venu prendre l'enregistrement de l'allocution du Général sur magnétophone, me dit que le Général était si fatigué, avait les traits si creusés, qu'il avait vieilli de vingt ans : il était affreux à voir. C'est la raison pour laquelle, selon lui, le Général ne voulait pas se montrer à la télévision.
Flohic. — Mais non ! C'était sûrement parce qu'il n'avait pas eu le temps d'apprendre par coeur son texte : il avait besoin de le lire. En fait, il n'était pas si fatigué que ça. Il avait bien dormi à Colombey. Il était reposé, bien dans sa peau. C'est en arrivant à Baden qu'il avait une tête épouvantable. Il n'avait pas dormi depuis au moins une semaine, avec en plus la fatigue du voyage. Massu a dû croire que le Général était au trente-sixième dessous. Ça servait d'ailleurs le Général. Il arrivait harassé en disant: "Tout est foutu ! ", de manière à susciter la réaction : "Mais non, mon général, avec votre prestige, vous pouvez retourner la situation."
« Je vous dis tout ça sous le sceau du secret, bien qu'il soit éventé — mais de travers — par certains qui veulent faire croire que le Général avait tout simplement pris la fuite. Le Général m'a recommandé à notre retour le secret absolu et je l'ai gardé depuis lors, bien que mes supérieurs aient cherché à me faire parler. En rentrant de Baden, le Général m'a dit : "Je vous interdis de dire quoi que ce soit à qui que ce soit, même à Pompidou et à Messmer. Le chef des armées, c'est moi !" C'est une prérogative à laquelle il tient absolument. Il peut donner des ordres à n'importe quel militaire en court-circuitant toute la hiérarchie. Il aime dire que Louis XVI fut le premier souverain à avoir renoncé à être le chef des armées et que ça a causé sa perte. »
Je raconte à Flohic que le Général a pris la peine de m'écrire le mardi soir 28 mai, alors qu'on le supposait être dans tous ses états. Aucun détail ne lui échappait : il savait ce qu'il ferait le mercredi, qu'il reviendrait le jeudi et qu'il me verrait en fin de semaine. Ce n'était pas le fait d'un
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