C'était de Gaulle, tome 3
discussion, le Général se tourne vers Jeanneney : « Où en êtes-vous sur la question de la participation des travailleurs ?
Jeanneney (un oeil sur Pompidou). — C'est un terrain difficile, sur lequel il convient d'avancer avec prudence, parce que dans l'esprit de beaucoup, cela implique la cogestion.
GdG. — Il faut avancer pourtant. La question n'est plus entière. Le gouvernement est lié par une disposition législative. (Amusant de voir le Général s'appuyer, pour bousculer la prudence de son gouvernement, sur la hardiesse d'un député.)
Edgar Faure (approuvant avec chaleur). - La participation, c'est une des plus grandes idées de notre temps. (Pose-t-il sa candidature, pour le cas où Pompidou traînerait trop les pieds ?)
Pompidou. — Le mandat de la commission doit être clair. Il ne s'agit pas d'aller vers la cogestion, il ne s'agit pas d'introduire le régime d'assemblée dans l'entreprise. Le fond de l'affaire, c'est de savoir si l'ensemble de ces réflexions nous conduit à plus de libéralisation ou à un carcan plus étroit. »
Le Général ne commente pas son Premier ministre, mais après quelques brefs échanges techniques sur d'autres sujets, il conclut, de manière à bien faire comprendre où est, pour lui, la priorité politique :
GdG : « Ce que nous faisons pour la participation est et doit être en conformité avec le Plan, qui est ambitieux. Son ambition, c'est de faire en sorte que nous nous adaptions à une économie concurrentielle, qui est une économie internationale. Mais aussi, il ne faut pas hésiter à mettre en relief ce qui est nouveau ; et ce qui est vraiment nouveau, c'est ce que nous voulons faire pour la participation des travailleurs à l'autofinancement. Il ne faut pas cacher son drapeau. À l'occasion des investissements industriels, on organise la participation des travailleurs à l'autofinancement. Ce n'est quand même pas la lune ! Ça ne va pas chercher très loin ! Ça n'est pas colossal ! »
À la fin du Conseil, de Gaulle conclut l'approbation du « plan Debré » d'un mot emprunté à une campagne de publicité d'Esso :
GdG : « Le gouvernement a mis plusieurs tigres dans son moteur, mais ils ne se sont pas dévorés entre eux, je m'en félicite. »
Edgar Faure, Debré, Jeanneney sont évidemment les nouveaux tigres dans le moteur, qui ne se sont pas dévorés entre eux, et que Pompidou n'a pas dévorés. Mais pour le Général, le tigre principal, n'est-ce pas la participation elle-même ? Il veut le croire. Sera-t-il dévoré ?
Sur le papier qu'il a devant lui, il a noté diverses remarques au cours du Conseil. La dernière est celle-ci : « Participation des travailleurs à l'autofinancement : malveillance des syndicats et des patrons. »
« Il faut y aller avec prudence, mais attention ! Ne noyez pas le poisson ! »
Conseil du 9 mars 1966.
Le comité chargé de réfléchir à la mise en oeuvre de l'amendement Vallon va se mettre sur pied. Debré l'annonce à propos d'un projet de loi sur les investissements.
Debré : « Ce sera un groupe de sages, des personnalités indiscutables, qui ne se sont pas déjà engagées sur la question. Leur tâche consistera à écouter, sans idée préconçue, tous les auteurs de projets. Je propose MM. Barre, Belin, Mathey, de Lestrade, Perrineau, Ripert et Sauvy. Leur rapport sera confidentiel, pour le seul usage du gouvernement.
GdG. — C'est un domaine immense, nouveau, important. Il faut y aller avec prudence, c'est entendu, mais attention ! Ne noyez pas le poisson !
« Quant au groupe, M. Debré en annoncera la constitution quand il le jugera bon et comme venant de son propre chef. »
1 Voir plus haut, ch. 5, p. 52.
2 C'est l'amendement auquel son auteur, Louis Vallon, rapporteur général de la commission des finances, a donné son nom, consacré par le souvenir du fameux amendement Wallon qui fonda la III e République. Cet amendement à la loi de finances du 12 juillet 1965 prescrit au gouvernement de déposer avant le 1 er mai 1966 un projet de loi sur « les modalités selon lesquelles seront reconnus et garantis les droits des salariés sur l'accroissement des valeurs d'actif des entreprises dû à l'autofinancement ».
3 Marcel Loichot défend depuis longtemps des idées sur l'association du Capital et du Travail qui ont pris leur forme définitive dans son ouvrage, Le Pancapitalisme.
Chapitre 11
« C'EST UN FARDEAU ÉCRASANT QU'IL S'AGIT DE SOULEVER »
L'entreprise de modernisation
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