C'était De Gaulle - Tome I
« Pourquoi parle-t-on toujours de votre appel du 18 Juin, et jamais de votre appel de mai, après Montcornet, qui était encore plus prémonitoire ?
GdG. — Ce n'était pas un appel, c'était une interview, comme on dit.
AP. — Dans mon souvenir, c'était le même ton, le même thème : " Nous avons reculé devant les chars et les avions, un jour nous l'emporterons avec davantage de chars et d'avions." N'avez-vous pas gardé le texte ?
GdG. — Je ne sais pas si on l'a conservé... Ce qui est vrai, c'est que, dans la confusion générale, le devoir m'est apparu, alors, clair comme la lumière du jour. J'ai été submergé par la fureur devant le désastre. Penser que tout ça n'était dû qu'à l'aveuglement de nos gouvernements et de nos grands chefs militaires ! Tandis qu'un peu de clairvoyance nous aurait épargné la défaite — et même la guerre !
« Une maigre division blindée, formée à la hâte, sans encadrement et sans entraînement, venait de retourner la débâcle en succès sur un point du front. Oui ! Nous aurions pu gagner la bataille. Nous aurions même évité la guerre, si nous avions disposé de cet instrument au moment de la remilitarisation par Hitler de la rive gauche du Rhin ! C'était trop bête ! C'est à Montcornet que j'ai forgé ma résolution.»
« Notre victoire, oui ! notre victoire »
J'ai conté dans une revue d'histoire 5 , en 1974, l'émotion que j'avais ressentie en entendant la harangue de mai 40, sur les traces de laquelle je poursuivais depuis longtemps une vaine quête. Il a fallu encore attendre onze ans pour que deux chercheurs tenaces 6 réussissent en 1985 à retrouver lestémoins de l'enregistrement et à en établir le texte. Le 18 Juin avait bien été préfiguré, dans des termes très voisins, par le colonel de Gaulle, le 21 mai 1940, à Savigny-sur-Ardres, à la requête des services de propagande du Grand Quartier Général. Le voici, tel qu'il a été reconstitué :
« C'est la guerre mécanique qui a commencé le 10 mai. En l'air et sur la terre, l'engin mécanique — avion ou char — est l'élément principal de la force.
« L'ennemi a remporté sur nous un avantage initial. Pourquoi ? Uniquement parce qu'il a plus tôt et plus complètement que nous mis à profit cette vérité.
« Ses succès lui viennent de ses divisions blindées et de son aviation de bombardement, pas d'autre chose !
« Eh bien ! nos succès de demain et notre victoire, oui ! notre victoire, nous viendront un jour de nos divisions cuirassées et de notre aviation d'attaque. Il y a des signes précurseurs de cette victoire mécanique de la France .
« Le chef qui vous parle a l'honneur de commander une division cuirassée française. Cette division vient de combattre durement ; eh bien ! on peut dire très simplement, très gravement — sans nulle vantardise — que cette division a dominé le champ de bataille de la première à la dernière heure du combat.
« Tous ceux qui y servent, général 7 aussi bien que le plus simple de ses troupiers, ont retiré de cette expérience une confiance absolue dans la puissance d'un tel instrument.
« C'est cela qu'il nous faut pour vaincre.
« Grâce à cela, nous avons déjà vaincu sur un point de la ligne.
« Grâce à cela, un jour nous vaincrons sur toute la ligne. »
On dirait le brouillon du célèbre appel. Il suffisait d'y ajouter, après la demande d'armistice : « Cette guerre est une guerre mondiale ; moi, général de Gaulle, j'appelle à la Résistance. » Comme il est étrange qu'il soit passé inaperçu ! Quelle force, quelle cohérence, quelle prescience...
Quelques jours après, on apprenait que le colonel qui avait lancé ce message, promu général de brigade, devenait sous-secrétaire d'État à la Guerre. Quand, encore une douzaine de jours plus tard, nous sûmes qu'il était à Londres, je ne fus pas surpris : il se préparait depuis longtemps à ce défi.
A cause de cet appel de mai 40, tous les doutes me furent épargnés pendant près de six ans. C'était comme une étoilepolaire qui montait chaque soir pour nous guider dans les ténèbres. Tous les Français étaient-ils collaborateurs de cœur, comme le prétendent certains, ou résistants au fond d'eux-mêmes, comme d'autres l'affirment ? Ce que je sais, c'est que dans ma classe, il y avait, en 1940-1941, trois ou quatre pétainistes affichés, trois ou quatre gaullistes affirmés, les autres attentistes ou taisants, mais devant lesquels, de 1940
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