C'était De Gaulle - Tome I
de frappe et la nôtre, son attitude étant exactement la même que la mienne pour ce qui est de l'indépendance vis-à-vis des Américains.
« Je n'avais aucune objection à ce que Macmillan achetât des Polaris à l'Amérique à la place des Skybolt qu'il comptait leur acheter. Mais faut-il lier étroitement notre sort à un pays qui a perdu sa liberté d'action ?
« Quand nous aurons nous-mêmes notre force de frappe et qu'elle sera bien constituée, nous accepterons volontiers de conjuguer nos moyens avec ceux des Américains et des Anglais, notamment en temps de guerre. Mais nous ne pouvons pas accepter de leur en remettre le commandement et l'usage. L'Europe devra exister par elle-même.
« Ou l'Europe existera par elle-même — alliée aux Américains, certes, tant que les Russes la menaceront — mais politiquement, économiquement, militairement, culturellement indépendante, et disposant de moyens à elle ; ou l'Europe n'existera pas et ne sera qu'un agglomérat de protectorats américains.
« Il faudra bien qu'un jour ou l'autre, l'Angleterre saute le pas »
AP. — Si les travaillistes arrivent au pouvoir aux prochaines élections, comment voyez-vous ce qui se passera ?
GdG. — Comme tous les socialistes dans tous les pays du monde, les travaillistes mettront du désordre partout. Au bout de quelques années, on s'apercevra qu'ils ont vidé les caisses, qu'ils ont flanqué la pagaille en voulant faire leur démagogie socialisante. Ils seront balayés impitoyablement. Alors viendra une nouvelle équipe de conservateurs qui pourra faire l'opération que Macmillan a commencée lucidement, mais n'aura pas été en mesure d' achever.
« À moins que les conservateurs l'emportent encore cette fois-ci. Il n'est pas exclu que Macmillan, pour profiter de la mort inattendue de Gaitskell 1 , précipite les élections. Je souhaite qu'il les fasse vite ; et je souhaite même qu'il l'emporte, car, après ça, le gouvernement anglais aurait devant lui une vie nouvelle. Qu'ilagisse dans un sens ou dans l'autre. Mais on ne peut pas continuer comme ça, dans l'équivoque et les astuces.
« Si jamais c'est Macmillan qui gagne, à la faveur de la mort de Gaitskell, nous verrons peut-être l'Angleterre se décider à sauter le pas. De toute façon, il faudra bien qu'un jour ou l'autre, elle le saute.
« La question est maintenant clairement posée. Ou bien ce sera dans quelques mois, si Macmillan gagne les élections et se décide à faire l'effort nécessaire. Ou bien ce sera dans une ou deux législatures, quand une nouvelle équipe sera assez forte pour le faire, ou assez renforcée par l'évolution de l'opinion. Mais ce qui est sûr, c'est que ce ne sera pas avant que la question soit tranchée au fond par le peuple britannique.
AP. — C'est ce qu'aurait pourtant voulu Macmillan, qui jouait sa réélection là-dessus. »
Il soulève ses avant-bras en signe d'impuissance.
« Voulons-nous casser la machine ?
AP : « Je suppose qu'Adenauer 2 vous a parlé hier de votre conférence de presse. Est-ce qu'il n'en est pas préoccupé ?
GdG. — Il se réjouit de la grève des journaux à New York, qui empêche la presse américaine d'exploiter ma conférence de presse et de dire qu'elle est une réplique au rapprochement entre les Anglais et les Américains. (Rire.) Il constate que "les mêmes échos stupides " se retrouvent dans la presse allemande. Il se réjouit cependant que celle-ci n'aille pas jusqu'à dire que de Gaulle et les Six s'apprêtent à supprimer la liberté de la presse. (Rire.)
« Le Chancelier constate que Hallstein 3 et toute la Commission sont contre l'admission de l'Angleterre dans le Marché commun, qui en serait complètement dénaturé ; mais qu'en même temps, ils sont favorables à la reprise des négociations avec les Anglais. Il voudrait bien qu'on tienne compte de cette tendance, qui est aussi celle de l'opinion allemande, comme il dit, mais en fait c'est la presse, c'est-à-dire les Anglo-Saxons, qui la dominent. Je lui ai bien marqué qu'il était impossible de reprendre la semaine prochaine avec les Anglais, comme si de rien n'était, une négociation qui, depuis quinze mois, n'a accompli aucun progrès.
« En réalité, la Commission ne sait pas ce qu'elle veut. Elle est contre l'entrée de l'Angleterre, mais elle est pour la reprise des négociations en vue de l'entrée de l'Angleterre. Adenauer demême. Il donne pourtant de bons arguments pour fermer la porte aux Anglais.
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