C'était De Gaulle - Tome I
plus conciliants que nous avec l'Angleterre et l'Amérique, pour une raison bien simple, c'est qu'ils ne peuvent même pas imaginer de ne pas s'incliner devant la moindre pression de Washington. Le drame de l'Europe, c'est qu'à part nous, il n'y a personne qui ait l'ambition d'être vraiment européen.
« L'Amérique essaie de dominer en Europe, comme elle cherche à dominer en Amérique latine, en Asie du Sud-Est. L'Amérique, qu'elle le veuille ou pas, est devenue aujourd'hui une entreprise d'hégémonie mondiale.
AP. — Les peuples d'Europe occidentale lui savent gré d'avoir dominé Hitler et d'avoir tenu tête à Staline.
GdG. — Je n'en disconviens pas. Mais nous assistons aujourd'hui à un phénomène physique, comme les raz de marée ou les éruptions de volcan, qui échappe en quelque sorte aux dirigeants américains eux-mêmes. La puissance américaine est tellement écrasante, ils ont tellement d'avance dans les technologies de pointe, ils sont tellement riches, ils empruntent tellement — puisqu'on ne prête qu'aux riches... Leur expansion a quelque chose d'élémentaire.
« Faire entendre la voix de ceux qui n'ont pas de voix »
AP. — Je me demande si les Américains ne seraient pas tentés par l'isolationnisme plus que par l'expansionnisme. Le rêve des Américains, c'est de vivre l' american way of life entre leurs deux océans et de ne sortir de chez eux que pour faire du tourisme. Mais, en même temps, ils ressentent comme un devoir de ne pas laisser le communisme se répandre dans le monde, de même qu'ils ont ressenti comme un devoir de ne pas laisser Hitler gagner la guerre.
GdG. — Peut-être. Mais, qu'ils le veuillent ou pas, l'expansion des Américains, depuis la Seconde guerre, est devenue irrésistible. C'est justement pour ça qu'il faut y résister. Comment voulez-vous que le tiers-monde supporte ça ? Comment voulez-vous qu'on aille toujours plus loin vers l'enrichissement des riches et l'appauvrissement des pauvres ? Et qui est mieux placé que la France pour faire entendre la voix de ceux qui n'ont pas de voix ?
« La Grande-Bretagne veut obtenir les avantages de l'appartenance à l'Europe et, en même temps, garder les avantages de sa non-appartenance à l'Europe grâce à son système impérial et à la fraternité de culture anglo-saxonne. Ce n'est donc pas elle qui va mettre le holà.
« Les autres gouvernements européens sont moins favorables que nous à une Europe indépendante. Pourtant, c'est indispensable, sans quoi l'Europe n'a pas d'intérêt... Mais il n'est pas impossible que les pauvres Hollandais, les pauvres Belges, les pauvres Allemands, les pauvres Italiens évoluent un jour dans le sens où nous avons commencé notre propre évolution : une Europe qui soit elle-même.
« Pour le moment, nous constatons qu'ils n'ont pas de consistance. C'est pour ça que, dans le projet d'Union des États européens, j'ai mis en avant le principe du référendum. Les peuples, ça existe et ça résiste. Le peuple allemand, c'est quelque chose. Ce sont les gouvernements qui n'existent pas, quand ils sont à la merci de leurs partis, de leurs comités et de leurs Parlements. »
1 Hugh Gaitskell, chef du Labour Party depuis décembre 1955, est mort quelques jours plus tôt, le 18 janvier 1963.
2 Le chancelier était venu à Paris signer le traité d'amitié et de coopération franco-allemand.
3 Walter Hallstein, président de la Commission du Marché commun.
Chapitre 14
« LES ANGLO-SAXONS ET LEURS COPAINS FRANÇAIS FONT UN ORCHESTRE INCROYABLE »
Au Conseil des ministres du jeudi 24 janvier 1963, Couve expose l'obstacle inattendu qu'il rencontre à Bruxelles. Après la conférence de presse du Général, ce fut d'abord, comme prévu, une explosion d'indignation. Mais, dès le lendemain, les attitudes ont changé. Heath et la délégation anglaise ont pris en main nos partenaires et les ont engagés à faire comme si de rien n'était. À la différence de ce qui s'était passé en décembre 1958, où les Anglais poussaient au drame, cette fois ils poussent à prétendre qu'il n'y a aucun drame.
« Tous les partenaires de la France se mettent du côté de la Grande-Bretagne. Depuis quinze mois que la négociation traînait, nous avions ménagé le front commun des Six. Maintenant, le front commun des Six, ce sont les Cinq et l'Angleterre. Le septième, le mouton noir, c'est nous.
« Le chancelier Adenauer a fait part au général de Gaulle, il est vrai sans
Weitere Kostenlose Bücher