C'était De Gaulle - Tome I
façon de retomber dans le désordre de la III e ou de la IV e République. Nous avons la chance d'en être sortis. Il ne faut rien faire pour y revenir. Restons-en à notre Constitution, qui est bonne pour l'essentiel et à laquelle il faut faire seulement quelques retouches, la plus importante étant la transformation du Sénat.
« J'exclus totalement le quinquennat »
AP. — Vous excluez complètement de raccourcir le septennat en quinquennat, comme certains le voudraient, et comme Chalandon le suggère ?
GdG. — Je l'exclus totalement ! Dans l'esprit de ceux qui le proposent, cette coïncidence des mandats ne pourrait avoir lieu qu'à la condition qu'on supprime et la censure et la dissolution. Ou alors, si l'on voulait que les deux mandats coïncident définitivement, il faudrait, soit que la dissolution entraîne le départ du Président, soit que la censure entraîne non seulement le départ du gouvernement, mais celui du Président et de l'Assemblée.
« Tout ça ne tient pas debout ! Ceux qui avancent ça ne se sont pas donné la peine de réfléchir. Ils ressassent des slogans. Le Président est là pour assurer la continuité de l'État. C'est sa mission essentielle. Il est la clef de voûte de l'État. Si vous lui ôtez ce rôle, le peuple souverain ne pourra plus jouer le sien, celui d'arbitre et de recours. Or, il faut que le Président puisse lui faire jouer ce rôle chaque fois qu'il en éprouve la nécessité, soit par référendum, soit par des élections.
AP. — Vous souhaitez donc que le Président continue à rester intangible, mais que le Parlement et le gouvernement continuent à pouvoir se combattre ? Est-ce qu'il n'y a pas contradiction ? Le Président dirige à ce point l'action des ministres qu'il doit bien, bon gré mal gré, se solidariser avec eux.
GdG. — En gros, vous avez raison, mais il faut laisser toutes les possibilités. Il faut que le Président ne dépende pas du Parlement. Il faut que le gouvernement émane de lui, reflète sa volonté. Mais il faut aussi que, si le gouvernement est renversé, le Président ne soit pas obligé de s'en aller. Deux possibilités doivent alors lui rester : ou bien celle de renvoyer l'Assemblée devant les électeurs, pour rendre le peuple juge ; ou bien, celle de se séparer de son gouvernement, s'il préfère, pour une raison ou pour une autre, ne pas recourir à cet affrontement.
AP. — Mais comment peut-il se séparer de son gouvernement, puisqu'il en a animé l'action ?
GdG. — Il n'en anime pas l'action dans les moindres détails.Il peut ne pas être satisfait de tel ou tel membre du gouvernement, dont l'action, ou l'absence d'action, aura joué un rôle déterminant dans la censure qui aura été émise contre le gouvernement. Il peut avoir intérêt, si c'est l'intérêt de la nation, à aller dans le sens du Parlement, contre les vues de tout ou partie de ses ministres. De toute façon, il faut lui laisser la possibilité de jouer.
AP. — N'y a-t-il pas contradiction, du fait que le gouvernement est responsable à la fois devant l'Assemblée, qui peut le renverser, et devant le Président, qui le nomme et qui peut mettre fin à ses fonctions ?
GdG. — Non. Il n'y a pas de contradiction. Car, en fait, le gouvernement dépend essentiellement du Président ; sinon selon la Constitution, du moins dans l'application qui en a été faite et qui doit continuer d'en être faite. Son texte ne le dit pas expressément, et ça vaut mieux. Il ne peut pas tout prescrire. "Faisons des constitutions courtes et obscures", comme disait Talleyrand. La nôtre est déjà beaucoup trop longue et beaucoup trop précise. Les Anglais n'en ont pas, et ne ne s'en portent pas plus mal. Le plus important, ne l'oubliez pas, ce ne sont pas les textes, c'est l'usage qui s'établit, les précédents qui s'accumulent, la tradition qui se crée. Les ministres sont nommés par le Président, relèvent de lui essentiellement, mais il n'est pas mauvais qu'ils soient responsables devant le Parlement. C'est une soupape de sûreté qu'il est souhaitable de laisser.
« Le Président et le gouvernement ne sont pas un bloc pour tout »
AP. — Vous envisagez vraiment la possibilité pour le Président de ne pas se solidariser avec son gouvernement, s'il y a un vote de censure ?
GdG. — Oui. Le Président et le gouvernement ne sont pas, pour toutes les questions, une unité, un bloc irréfragable 9 . Il peut arriver que le Président accepte la censure et
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