C'était De Gaulle - Tome I
visiblement pas cette expression dans son acception habituelle d'« irrécusable », mais au sens d'« infrangible », « intangible ».
Chapitre 3
« NOUS VOILÀ DÉBARRASSÉS DES POLITICHIENS »
La méfiance du Général envers les habitudes nées du régime d'assemblée affleure de temps à autre. Au Conseil du 9 mai 1962, Frey annonce un mouvement de préfets et rappelle, en se tournant vers moi, la nécessité de ne pas parler de ces nominations, de façon à en laisser la primeur aux parlementaires.
Le Général, vivement : « Vous n'êtes tout de même pas obligé de négocier avec les parlementaires pour nommer des préfets ! C'était bon sous le régime défunt !
Frey. — C'est seulement une question de courtoisie. »
« Les parlementaires ne sont pas souverains ! »
À l'issue du Conseil, je reviens sur la nomination des préfets : « Roger Frey se référait peut-être au délai que l'on observe avant d'annoncer les nominations d'ambassadeurs.»
Je me suis fourvoyé. Le Général tape sur la table :
« Mais si vous n'annoncez pas les nominations d'ambassadeurs, c'est parce qu'il faut d'abord obtenir l'agrément de pays souverains ! Les parlementaires ne sont tout de même pas souverains ! Ils l'ont cru longtemps, mais c'est fini ! Le temps des politichiens, c'est fini ! »
J'ai perdu une bonne occasion de me taire.
Pompidou, à qui je signale cette invention verbale d'allure auvergnate, m'assure avec quelque condescendance qu'elle était courante dans le vocabulaire du Général pendant les années de la IV e République.
« Pas de majorité ferme sans le scrutin majoritaire »
Salon doré, 23 juin 1962.
Je pose au Général la question du mode de scrutin, après qu'il a envisagé devant moi un vote de censure et la dissolution.
AP : « Vous avez choisi le scrutin proportionnel en 1945, vous avez préféré le scrutin majoritaire en 1958. Est-ce une question de principe, ou de circonstances ? Ou vos principes ont-ils changé à la longue, avec l'expérience qu'ont apportée des circonstances différentes ?
GdG. — En 45, les communistes représentaient un électeur sur trois et les deux autres tiers étaient dispersés entre de nombreuses formations. Si j'avais adopté le scrutin majoritaire, automatiquement, la Chambre aurait été composée aux trois quarts de communistes. On ne pouvait l'éviter que par le scrutin proportionnel. C'était alors la seule façon de pouvoir gouverner la France sans donner les clefs de l'État au parti communiste. C'était une question de salut national.
AP. — N'est-ce pas Michel Debré qui vous a rallié au scrutin majoritaire ? »
Aux dires de divers témoins de cette époque, à commencer par Pompidou, ce fut le combat de Debré — chef ardent, au Conseil de la République, de l'opposition gaulliste dans les années 50 — que de convaincre le Général de la supériorité de ce scrutin.
Le Général ne reconnaît pas aisément cette paternité :
GdG : « Debré est parlementaire dans l'âme. Du temps du RPF, il voyait la future Constitution, nullement comme un système donnant des pouvoirs prééminents au Président, mais comme un véritable système parlementaire à l'anglaise, avec deux partis alternant, le chef du parti victorieux devenant automatiquement Premier ministre, le rôle du chef d'État se réduisant à le désigner formellement et à représenter symboliquement l'unité. Il voulait un scrutin majoritaire à un tour, qui, en obligeant tous les partis à se regrouper, aurait facilité l'émergence de deux partis, seuls aptes à exercer le pouvoir.
« Ce n'est pas du tout mon sentiment. Ça reviendrait à remettre le pouvoir aux partis. Mais c'est vrai que le mécanisme du scrutin majoritaire a l'avantage de favoriser la naissance d'une majorité. Il n'y a pas de majorité ferme sans scrutin majoritaire. »
« Sur le scrutin, il ne faut pas se lier les mains »
Matignon, 12 mars 1963 :
Georges Pompidou est plus hésitant que le Général sur la supériorité du scrutin majoritaire.
« Cette grève des mineurs 1 , me dit-il, prend une ampleur et une résonance formidables, parce que les Français ne se sentent pas vraiment représentés par les dernières élections. C'est l'inconvénient du scrutin majoritaire. Il permet de gouverner, mais il provoque des frustrations. Les électeurs qui ont voté à gauche se sentent exclus. Ils se disent : "C'est pas ça que voulaient les Français. Nous sommes plus forts que ne le laisse
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