C'était De Gaulle - Tome I
que Pompidou ne cesse de sourire, jouant le registre de l'humour ; mais le Général ne sourit pas, ne relève pas l'impertinence : un Président ne polémique pas avec son Premier ministre.
À la sortie, plusieurs ministres commentent cet assaut à fleurets mouchetés : « Le Général exhortait Pompidou à prendre de l'aplomb ; il doit penser maintenant qu'il en prend trop », dit Pisani.
Salon doré, après le Conseil. Le Général s'assied à son bureau. Il est rayonnant. On ne s'en apercevait pas pendant le Conseil : devant tant de témoins, il voulait montrer son flegme. Devant un seul, il ne cache pas sa joie.
Ce qui ne l'empêche pas de me houspiller. Il me reprend sur les termes d'un bref communiqué que je m'apprête à lire aux journalistes : « Le Premier ministre a donné connaissance au Conseil des grandes lignes de la déclaration de politique générale qu'il doit faire devant l'Assemblée nationale. Il a été autorisé à soumettre cette déclaration à l'approbation de l'Assemblée. »
Il sursaute :
« Mais non ! Il ne la soumet pas ! Il ne se soumet pas ! Il ne fait pas de courbettes ! Votre formule est exécrable ! Il ne faut pas employer un mot pour un autre, sinon les choses partent de travers ! »
Il ajoute : « L'important, voyez-vous, c'est de créer de bons précédents. »
Des précédents, il en crée presque à chaque Conseil, par la manière dont il réagit, au fur et à mesure, aux actes du gouvernement. Il ne le fait le plus souvent qu'avec mesure, et en prenant soin de compenser toute pointe par une expression d'une douceur accentuée.
C'est justement sur ce ton qu'il conclut notre entretien :
« Voyez-vous, Peyrefitte, cette double opération référendum-élections a été bénéfique. Elle a prouvé que le peuple était du côté de l'État. Le peuple et l'État sont maintenant souverains. »
Ce qui donne au Général sa confiance en lui-même et dans ses propres entreprises, c'est sa certitude de s'être maintenant établi, et d'avoir établi les institutions, sur un roc : la souveraineté populaire.
Quand il est sûr d'avoir le peuple avec lui, il peut braver sereinement tous les caciques de l'opposition et tous les grands de ce monde. Si quelque doute sur ce point s'insinue en lui, son assurance faiblit.
Le résultat, par lui jugé insuffisant, du référendum d'octobre 1962 ; par la suite, sa perte de popularité à la suite de la grève des mineurs ; le ballottage de décembre 1965 ; l'extrême justesse du succès de la majorité aux élections législatives de 1967 ; la rébellion de mai 68 : il n'en fallait pas plus pour le blesser en profondeur et le faire douter de son maintien au pouvoir. Mais le plus souvent, il suffit de signaux en sens inverse — la divine surprise des élections législatives de novembre 1962, une tournée triomphale en province, outre-mer ou à l'étranger — pour le remettre d'aplomb sur sa selle.
À part ces rares moments de découragement, la note dominante est la sérénité, voire, en privé, l'euphorie. Il oppose un front de marbre aux inquiétudes ou malveillances qui se déversent dans la presse ou dans les bavardages en ville, et qui finissent par nous atteindre nous-mêmes, au point que nous avons l'impression constante de vivre dangereusement.
Pompidou : « Il faut mettre le Général à l'abri de ces billevesées »
Matignon, 13 décembre 1962.
Pompidou me glisse, à la fin de notre réunion du matin, à propos du Conseil des ministres d'hier : « Le Général tient à ce que je mette au nombre des projets du gouvernement d'associer le monde du travail à la conduite de la vie économique. Mais c'est de ces choses dont on parle beaucoup et qu'on ne fait jamais. »
Il reprend, sur un ton presque désagréable, comme s'il me soupçonnait de donner dans le travers qu'il dénonce : « Capitant, Vallon et tutti quanti, ce sont des gens fumeux. Il n'y a rien à en tirer. Malheureusement, ils ont farci la tête du Général de leurs rêveries. Il faut mettre le Général à l'abri de ces billevesées. C'est une façon de lui rendre service. »
Il y a longtemps déjà que Pompidou m'a mis en garde contre cette « chimère » du Général. Je le constate en feuilletant mes carnets. Au Conseil des ministres du 11 juillet 1962, une ordonnance sur l 'intéressement était présentée, qui devait être rendue publique le 15 juillet. Pompidou m'a dit : « Surtout, il ne faut pasen parler, ce sont des sujets sensibles. Les
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