C'était De Gaulle - Tome I
ragoût, si on savait s'y prendre »
Deux mois plus tard, le 17 avril 1963, au Salon doré, après la fin de la grève des mineurs, il glisse à l'euphorie.
GdG : « Nous avons un Parlement qui ne demande qu'à nous entendre et qui est prêt à nous soutenir.
AP. — Comment voyez-vous, pratiquement, l'aide qu'il pourrait nous apporter ?
GdG. — Il faut déballer nos affaires devant lui sans avoir peur de le faire. On n'a plus à redouter les coalitions désagréables des socialistes, des MRP et des activistes de l'Algérie française que nous connaissions dans la législature précédente. Le Parlement peut être une magnifique caisse de résonance. Il faut en profiter.
« Les grandes affaires, il faut les mettre sur la table. On ne peut pas toujours procéder par interviews à la télévision. (Sans doute une allusion aux « coins du feu » du Premier ministre, qui remportent pourtant un franc succès.) Le Parlement est fait pour ça. Les parlementaires eux-mêmes sont les meilleurs interviewers. Ils sont là pour animer les questions et pour mettre en valeur celui qu'ils questionnent ! C'est une affaire de montage, comme à la télévision. Il y a au Parlement des hommes de qualité. Voilà une affaire à construire, à organiser et à mettre en route.
AP. — De quels sujets pourra-t-on débattre maintenant ?
GdG. — Mais tous les sujets ! Il y a avantage à tout déballer ! (Il recommence son énumération de février, en y ajoutant l'agriculture : " Il faut faire comprendre aux paysans ce qu'on fait pour eux" ; la construction, etc.) Il faut y aller carrément. Ça ne peut faire de tort à personne, en tout cas pas au gouvernement. Il y alà un magnifique instrument, il faut l'utiliser. C'est une question de mise en scène. Tout ça ne manquerait pas de ragoût, si on savait s'y prendre. »
Il a une conception que nous dirions aujourd'hui médiatique du Parlement. Je crois bien qu'il regrette que cette « magnifique caisse de résonance » soit étouffée par le quotidien du travail législatif.
« Je surplombe tous les pouvoirs »
Dans la foulée, il me prescrit de déclarer à la presse qu'il a demandé au Premier ministre d'organiser un grand débat économique à l'Assemblée nationale en début de session. « Ce que le pays doit accomplir exclut la facilité à l'intérieur comme à l'extérieur. »
J'indique au Général que, d'après ce qu'il m'a confié le mercredi précédent, il a l'intention de traiter le même thème dans sa prochaine allocution. « Si je déflore le sujet de votre allocution, lequel sera ensuite développé au Palais-Bourbon, ne craignez-vous pas que les gens aient une impression de déjà dit ?
GdG. — Mais vous m'avez vous-même démontré qu'il valait mieux que vous passiez d'abord en éclaireur pour émousser les critiques ? (Encore une fois, sa mémoire ne se laisse pas prendre en défaut.)
AP. — Oui, quand je fais des indiscrétions calculées, sans qu'il s'agisse de propos officiels. Mais c'est autre chose, d'annoncer officiellement d'avance ce que vous allez dire quelques jours plus tard.
GdG. — Ne vous inquiétez pas. Quand il s'agit d'apprendre aux Français à lutter contre la facilité, on ne répétera jamais assez. Comme disait Napoléon, la répétition est la première figure de la rhétorique. Laissez de côté toute recherche d'originalité. »
En le quittant, je lui marque ma surprise de voir qu'il se préoccupe autant du fonctionnement du Parlement, lui que je croyais voué à la prééminence de l'exécutif. Il me répond : « Ma fonction surplombe tous les pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. Je dois veiller à leur équilibre. »
C'est la première fois que je l'entends parler du pouvoir judiciaire — d'ordinaire, il emploie, comme la Constitution, l'expression « autorité judiciaire », réservant « pouvoir » à l'exécutif et au législatif. Il est vrai que le verbe « surplomber » — qui lui est familier — restreint la portée de cette innovation...
« Le Parlement ne doit pas se mêler du domaine réglementaire ! »
Un projet de loi sur la « réforme de la fiscalité immobilière » est présenté par Giscard au Conseil du 27 février 1963. Il donne l'occasion au Général d'une jolie passe d'armes :
« Nous allons, expose Giscard, saisir le Conseil constitutionnel sur le projet de loi portant réforme de la fiscalité immobilière. Déjà, à deux reprises, le gouvernement a demandé au Conseil
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