C'était De Gaulle - Tome I
constitutionnel de déclarer réglementaires des dispositions figurant dans des projets de loi qui avaient déjà été votés.
« Ce n'est pas une bonne méthode. Le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'est pas adroite. On met le Conseil constitutionnel dans la position d'un organisme qui vient se heurter systématiquement au Parlement 1 , ce qui est psychologiquement et politiquement mauvais. Il est mauvais de laisser les parlementaires croire qu'un texte est législatif, et faire dire ensuite qu'il est réglementaire par le Conseil constitutionnel : il vaut mieux saisir celui-ci avant. »
Le Général réagit vivement, non sur la question de tactique soulevée par Giscard, mais sur le fond : « Ce qui est anti-constitutionnel, c'est de laisser le Parlement se mêler du domaine réglementaire ! Et aussi de lui laisser l'initiative des dépenses ! Ce sont là deux des dispositions essentielles, fondamentales, de la Constitution ! Il s'agit de faire respecter, non pas seulement de vagues dispositions réglementaires, mais la Constitution elle-même ! Les institutions idoines, c'est-à-dire le Conseil constitutionnel, et moi-même pour commencer, c'est notre tâche d'y veiller ! C'est un point sur lequel on ne peut transiger ! »
Autrement dit, le gouvernement ne doit pas se laisser aller, pour donner plus d'éclat à ses projets — ou pour utiliser la « caisse de résonance » parlementaire ! — à demander au Parlement d'adopter des lois, quand il peut, et doit, faire lui-même des décrets.
Le Général est comme obsédé par la volonté d'éviter que le Parlement n'étende ses pouvoirs. « Sous la IV e , voyez-vous, me dit-il après le Conseil, on faisait des lois sur tout et sur rien. Il faut soustraire au Parlement tous les textes qui peuvent être adoptés par la voie réglementaire 2 . Plus on restreint les lois au profit des décrets, mieux ça vaut.»
« Éviter les mauvais précédents et en laisser de bons »
En revanche, quelques mois plus tard, le Général donnera raison au Conseil d'Etat, malgré la hargne qu'il éprouve le plus souvent contre celui-ci.
Conseil des ministres, 18 septembre 1963.
Giscard commente sarcastiquement des remarques du Conseil d'État sur le projet de loi de finances. Surprise autour de la table. Le Général répond à Giscard dans un sens contraire à celui que chacun attendait :
« Le Conseil d'État a fait une observation de fond qui a sa valeur : on introduit dans la loi de finances des dispositions légales qui modifient le régime fiscal général. Or, la loi de finances n'est qu'une loi d'occasion, à caractère annuel. Les dispositions concernant le régime fiscal général doivent faire l'objet de lois de principe, de lois de base. Glisser dans le budget, à la sauvette, une disposition qui devrait faire l'objet d'une loi amplement délibérée en tant que telle par le Parlement, n'est pas conforme aux dispositions de la Constitution. Le Conseil d'Etat ne dit d'ailleurs pas qu'il faut disjoindre l'actuel projet, mais qu'il conviendra de tenir compte dorénavant de cette observation... »
« En toute chose, me déclare-t-il ensuite dans notre tête-à-tête, nous devons roder correctement les institutions, modifier les pratiques exécrables héritées du passé, éviter les mauvais précédents et en laisser de bons derrière nous. C'est maintenant ma tâche principale, c'est ma mission.»
Autant il veut éviter que l'Assemblée et le Sénat ne débordent sur le domaine de l'exécutif, autant il entend respecter les prérogatives du Parlement. C'est tout un.
1 Onze ans plus tard, en 1974, Giscard apaisera cette inquiétude, qui ne l'aura pas quitté. Comme Président de la République, il fera adopter une réforme qui permettra à soixante parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel : ce qui réconciliera le Parlement et le Conseil constitutionnel.
2 C'est-à-dire par le gouvernement.
Chapitre 5
« LA PENTE NATURELLE VA VERS LE RÉGIME D'ASSEMBLÉE »
« C'est si facile de faire voter des congrès »
Matignon, 7 décembre 1962.
Pompidou m'explique qu'il est intervenu personnellement pour que Giscard, avec le petit groupe des élus « modérés » qui ont soutenu le oui au référendum, forme un nouveau parti, celui des Républicains indépendants, concurrent de l'UNR. Vives récriminations des gaullistes, qui auraient préféré former un parti unifié du oui. « Le Général, m'explique le Premier ministre, ne peut pas être dans la
Weitere Kostenlose Bücher