C'était De Gaulle - Tome I
de la IV e République, transformer le Conseil des ministres en une simple chambre d'enregistrement de ce qu'il venait de décider en Conseil de cabinet à Matignon ?
« Ces expressions sont vicieuses »
Le Général poursuit son admonestation : « Et puis, l'expression "Conseil" doit être réservée à l'Elysée, qu'il s'agisse du Conseil des ministres, des Conseils restreints, du Conseil de défense, du Conseil supérieur de la magistrature, etc. On voit souvent, dans les journaux, l'expression : "un Conseil interministériel s'est réuni à Matignon", "un Conseil s'est tenu sous la présidence du Premier ministre ", etc. Ces expressions sont vicieuses. Elles ne sont pas conformes à l'esprit de la V e République. Vous devriez vous attacher à ce qu'elles soient rectifiées. Les Conseils se tiennent à l'Elysée. À Matignon, il n'y a pas de Conseils qui décident, mais des Comités qui préparent. La présence du Président de la République est indispensable pour qu'un Conseil puisse se réunir. C'est ce qu'a voulu la Constitution.»
Faut-il aller plus loin, et croire, comme beaucoup de journalistes, que le Conseil des ministres n'est rien d'autre qu'une chambre d'enregistrement, pour la forme, des décisions préalables du Général ? Sa seule présence est si écrasante, qu'il faut de l'audace pour s'opposer à lui. Et pourtant, les échanges y sont souvent vifs — assurément beaucoup plus que ne l'imagine le public. On a vu plus d'une fois de Gaulle, en un an, changer d'opinion et même de décision, à la suite d'une discussion.
Cet organe de décision suprême est celui sur lequel il s'appuie pour tous ses actes publics. Il fournit chaque semaine à chaque ministre l'occasion d'exprimer un désaccord. Sinon, l'accord est implicite.
« Nous nous revoyons la semaine prochaine »
Puisque l'État doit veiller trois cent soixante-cinq jours par an, pas question de vacances ! « Nous nous revoyons la semaine prochaine. En principe. À moins qu'il n'y ait pas lieu de nous réunir », a-t-il déclaré au Conseil des ministres du 8 août 1962. Dès que le Général s'est retiré, Pompidou déclare avec bonhomie : « Il pousse loin le sadisme. Naturellement, il n'y a pas Conseil la semaine prochaine. Mais ne vous éloignez pas trop. » C'est sa façon joviale de traduire les exigences rigoureuses du « patron ». Mais le Général part tranquille ; il sait qu'en demandant le plus, il obtiendra le moins et parera à l'imprévu. Il se garde les mains libres.
« Non ! Le gouvernement est unanime par définition ! »
Le premier de tous les principes de commandement de la société, c'est celui de la solidarité gouvernementale.
Après le Conseil du 27 février 1963, je lis au Général un projet de communiqué écrit de la main de Pompidou (ce que je ne lui dis pas) : « Le gouvernement a été unanime à constater que la situation économique est dans son ensemble satisfaisante. »
Le Général saute en l'air :
« Non ! Le gouvernement est unanime par définition ! Quand un ministre n'est pas de l'avis du gouvernement, il cesse d'être ministre ! Le gouvernement est unanime, c'est une expression de la IV e République ! On ne parle pas de l'unanimité du gouvernement, parce que c'est une donnée permanente. La signaler, c'est insinuer qu'elle ne va pas de soi ! »
1 Dans cette lettre, l'ancien avocat du maréchal Pétain et de l'OAS avance que des liens étroits auraient existé entre celle-ci et le ministre des Finances. Il prétend même que Giscard aurait communiqué régulièrement au général Salan le compte rendu des délibérations du Conseil des ministres relatives à l'Algérie.
2 UNR : Union pour la Nouvelle République, nom du mouvement gaulliste de 1958 à 1967 (ensuite : UD V e ; UDR ; RPR). UDT : Union Démocratique du Travail (gaullistes de gauche). L'UNR et les gaullistes de gauche (lesquels n'avaient réussi à avoir aucun élu en 1958) avaient décidé de fusionner en 1962.
Chapitre 6
« L'ÉTAT DOIT ÉCHAPPER AUX PARTIS »
Jardins de l'Élysée, 27 juin 1959. Au cours d'une garden-party offerte aux parlementaires (tous ; mais seuls sont venus ceux de la majorité) le député du Nord Van der Meersch, vieux compagnon du RPF et défenseur acharné des combats de coqs dans son département, aborde le Général sur la pelouse, au milieu d'un cercle de députés UNR dont je fais partie : « Mon général, débarrassez-nous de notre préfet ! Il a sa carte du parti socialiste en poche
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