C'était De Gaulle - Tome I
Peut-être la photo allait être utilisée pour organiser un attentat ? Ou peut-être pour un journal à scandales ? »
Monique demande quel scandale il y a à montrer un lit qui n'est même pas défait.
GdG : « Le scandale, Madame, c'est qu'il s'agissait de mon lit.
Mme de G. — Peut-être qu'elle voulait tout simplement, quand elle se serait mariée, montrer ces photos à ses enfants en leur disant : "C'est moi qui faisais la chambre du général et de Mme de Gaulle."
GdG. — Peut-être, Yvonne, mais elle aurait dû vous demander l'autorisation ! »
L'interdit m'a longtemps retenu. Souvent, j'ai commencé à transcrire mes carnets. Bien vite, trois fantômes surgissaient : un aide de camp, un ancien ministre, une femme de chambre. Trois épisodes qui me faisaient chacun l'effet d'un avertissement d'outre-tombe. Ma main tremblait ; et je cassais ma plume. Je ne l'ai pas reprise sans que fût éteinte la prescription trentenaire. Ni sans prendre certaines précautions.
La première : suivre de près le cours des événements. Les propos se placent ainsi naturellement dans leur contexte. De quoi expliquer ce qu'ils ont de circonstanciel, et empêcher de considérer tel mot comme un dogme intemporel. Mais cette méthode fait aussi ressortir la permanence des principes, et l'étonnante capacité du Général à donner un sens à tout événement.
Dans ce cadre chronologique, où l'actualité mêle à plaisir tous les sujets, il a fallu organiser le matériau par thèmes. Certains chapitres ci-après sont consacrés à un seul entretien continu. D'autres se composent de menus propos sur le même sujet, tenus à des dates différentes : il est précieux de mettre ces brèves répliques en regard les unes des autres, sans se laisser emprisonner dans le calendrier.
Je me suis refusé à censurer : il faut reproduire les paroles de De Gaulle avec leur brutalité, la familiarité typiquement militaire de leur forme, dès lors que l'on entend le faire revivre tel qu'il était. Si j'ai dû sacrifier une part importante de mes notes, qui auraient demandé au moins six ou sept volumes pour être publiées intégralement, je l'ai fait en éliminant nombre de répétitions pures et simples.
On ne trouvera guère ici, appliqués à des victimes désignées, de ces mots cruels que de Gaulle n'aurait jamais publiés et qui seraient blessants pour les survivants ou les proches. Il en était pourtant prodigue. À propos d'un de ses plus anciens compagnons,à qui je lui suggérais de faire appel pour une opération de relations publiques, il s'écriait : « Votre X..., il commence à me courir. » D'un autre, qui était pourtant un de ses ministres préférés : « C'est un roseau peint en fer. » Ou encore : « C'est un porte-avions avec un moteur de Vespa. » Je prends le risque de nuire à la vivacité de mes récits, plutôt que de susciter des chagrins inutiles.
J'ai aussi éliminé des expressions qu'il a prononcées devant moi et qui ont été depuis lors ressassées. Mais j'ai tenu à apporter mon témoignage pour confirmer des dires déjà signalés par un autre, s'il était resté isolé. Ce qui ne m'empêchera pas d'indiquer, en revanche, pourquoi je trouve sujet à caution tel autre mot qu'on lui a prêté. « Un témoignage, me dit un jour Malraux, ce n'est qu'un témoin. Deux témoignages, c'est l'Histoire. » Quand Roger Stéphane prête au Général cet aveu : « J'ai fait le 18-Juin parce que j'étais un ambitieux », il est sûrement sincère. Il l'a peut-être entendu ; il l'a peut-être rêvé depuis lors. J'ai du mal à me représenter le Général prononçant pareille formule. En revanche, si un autre interlocuteur avait surpris, à la même époque, le même propos, il serait plus difficile de rester sceptique.
De Gaulle est ici tel qu'il fut avec moi ; tel que je l'entendis à la table du Conseil ou en particulier — les tête-à-tête après les conseils de gouvernement prolongeant, amplifiant et traduisant en langue familière ce qui venait de se dire dans une langue plus châtiée 7 . Je prends le risque que ses interventions soient comparées aux comptes rendus officiels, quand ils seront ouverts au public entre les années 2019 et 2029 8 .
Mais qu'on n'oublie pas que ces libres propos sont seulement les brouillons de sa pensée ; les esquisses par lesquelles le peintre prépare un tableau. Il communiquait ses idées encore informes, quitte ensuite, pour arrêter son texte, à tenir compte des
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