C'était De Gaulle - Tome I
seconde, et des centaines de milliers d'autres mourant au cours des années suivantes dans des souffrances atroces, n'est-ce pas ce qu'on appelle un crime contre l'humanité ? »
Le Général lève les bras. Ce n'est pas son problème: « Nagasaki n'est peut-être pas très défendable. Mais, sans Hiroshima, l'armement nucléaire n'aurait pas fait plus d'effet qu'un revolver à eau. Truman a eu du cran. Il en fallait. »
« La défense de la France n'attend pas ! »
Au Conseil du 27 juin 1962, Pompidou annonce que, pour la construction de l'usine de séparation des isotopes de Pierrelatte,il y a eu un défaut d'évaluation. « Il faut soit réévaluer les crédits, soit étaler la réalisation.
GdG. — Pas question d'étaler! La défense de la France n'attend pas! C'est tout de suite que l'armée doit faire sa reconversion et s'adapter à la dissuasion! Il n'y a pas de raison que le pays ne se décide pas. La question devra être vidée, soit dans le collectif budgétaire, soit autrement.
Pompidou. — Si pressé qu'on soit, il vaudrait mieux remettre ce débat à l'automne. Tout le monde sait que Pierrelatte coûte plus cher que prévu et qu'on a fait des virements irréguliers.»
Le Général ne répond pas. Il doit penser à la réforme de l'élection présidentielle, dont il m'a entretenu. Il ne peut pas tout entreprendre à la fois. La proposition de Pompidou doit lui paraître raisonnable, mais il lui répugne d'y céder tout de suite.
Après le Conseil, je l'interroge sur les crédits de Pierrelatte. Qu'a-t-il voulu dire, en déclarant que la question devrait être vidée autrement?
GdG. — Si elle n'est pas vidée au Parlement, il faudra la vider devant la nation. Il faudra prendre le taureau par les cornes. Nous ferons un référendum.
AP. — Mais comment la Constitution le permettrait-elle? L'article 11 ne prévoit le référendum que pour la ratification d'un traité ou l'organisation des pouvoirs publics. Une rallonge de crédits n'entre dans aucune de ces deux rubriques.
GdG. — La formulation de l'article 11 est en effet trop restrictive. Il faudrait que le référendum porte sur deux questions:
« 1) Approuvez-vous une nouvelle formulation de l'article 11, permettant au peuple de trancher toutes sortes de débats, et pas seulement dans les deux cas actuellement prévus 1 ?
« 2) Si la réponse est positive, approuvez-vous la constitution d'une force nationale de dissuasion, et l'affectation de tel et tel crédit à cette force ? »
11 juillet 1962. Le Général a décidément une fringale de référendums. Il suit son idée, mais son idée est mobile.
GdG. : «Si une motion de censure était votée à propos de l'armement atomique, un double problème se poserait: celui de l'Assemblée, qui serait évidemment dissoute; celui de la force nucléaire, et le pays le trancherait. Les deux consultations, lesélections législatives et le référendum, seraient simultanées. Mais le bon sens fera le nécessaire.
« La mise sur pied de cette force engage le destin du pays. Elle est d'une importance immense, puisque d'elle dépendent l'intégrité territoriale et l'indépendance nationale, que le Président de la République a pour devoir de maintenir, conformément à la Constitution. Ce devoir, il ne lui serait plus possible de l'accomplir si cette force ne pouvait pas être constituée.
AP. — Cela veut dire que la mise sur pied de la force nucléaire se rapporte à l'organisation des pouvoirs publics, et donc pourrait entrer dans le domaine de l'article 11 de la Constitution tel qu'il est?
GdG. — En effet. Une bonne organisation des pouvoirs publics suppose que le plus éminent des pouvoirs publics, le Président de la République, ait la capacité d'exercer les prérogatives que la Constitution lui confère. »
Donc, depuis quinze jours, il a réfléchi à la question. Un de ses collaborateurs aura peut-être soulevé des objections contre la simultanéité, dans un même référendum, de deux questions différentes. Il a trouvé un autre biais qui permettrait de ne poser qu'une question, même si c'est un peu tiré par les cheveux.
« N'ayez pas honte de dire que c'est d'abord pour la France ! »
Au Conseil suivant, le 18 juillet 1962, Palewski annonce :
«Notre bombe A au plutonium est définitivement mise au point. La future bombe H pourrait être expérimentée à partir de 1970. Plusieurs pays demandent notre aide et notre coopération en matière nucléaire, comme
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