C'était De Gaulle - Tome I
répondre par l'exécution de Jouhaud au défi que lui lance la sentence pour Salan.
« Le Général va appeler Fouchet pour me remplacer »
« Le droit de grâce relève de la seule conscience du Général. Aucun Président de la République, et lui moins que tout autre,ne saurait admettre une pression, ou même un conseil. Et pourtant, j'estime ne pas avoir le droit de lui laisser commettre cette erreur, ou de rester au gouvernement s'il la commet. Je lui ai parlé calmement, mais fermement: "Personne ne comprendrait que Salan, le vrai chef de la rébellion, soit épargné et qu'au contraire, Jouhaud, simple complice, et qui a la formidable circonstance atténuante d'être pied-noir, soit exécuté. On vous le reprocherait jusqu'à la fin de vos jours et au-delà. Comme on reproche encore à Napoléon l'exécution du duc d'Enghien."
« Alors, je vais lui remettre ma démission, c'est-à-dire celle du gouvernement. Il va appeler Fouchet pour me remplacer. Il a pour lui beaucoup de confiance et d'affection.» Il ajoute, non sans un sourire ironique: « Vous verrez si vous voulez rester ou pas... »
Derrière le voile de l'humour, il parle avec résignation, comme devant l'inéluctable; mais, en même temps, il est froidement résolu. Il sait ce qu'il n'admettra pas. Il ne bougera pas d'un centimètre.
« Le courroux du Général est retombé »
Matignon, samedi 26 mai 1962.
Pompidou est soulagé. « C'est ce matin que Jouhaud devait être exécuté. Il ne l'a pas été. Il ne le sera peut-être pas. Foyer a été épatant. Il a trouvé des subtilités de procédure pour gagner du temps. Il a démontré au Général qu'en vertu du Code, on ne pouvait s'opposer à la transmission à la Cour de cassation d'une requête en révision présentée par les défenseurs de Jouhaud, ce qui a pour effet de suspendre l'exécution du jugement. La chambre criminelle se prononcera lundi en huit, le 4 juin. Mais naturellement, elle va rejeter le pourvoi. Et le Général, très probablement, restera inflexible. Enfin, qui gagne temps gagne tout. Je garde un petit espoir. »
Foyer, toujours muet comme une carpe sur les affaires de son ressort, a fini par me révéler comment les choses se sont passées: « Deux fois, mercredi et jeudi, je suis allé voir le Général pour tenter de le convaincre de commuer la condamnation de Jouhaud. Je me suis heurté à un mur. Vendredi à midi, veille du jour prévu pour l'exécution, le bâtonnier Charpentier, un des avocats de Jouhaud, m'apporte un recours en révision, manifestement irrecevable et très faible quant au fond. Je l'ai pourtant transmis aussitôt à la Cour de Cassation, en enjoignant au procureur général de conclure à l'irrecevabilité. Mais je savais que je nous donnais ainsi une dizaine de jours de répit, donc de réflexion pour le Général. Puis je suis allé rendre compte à Pompidou de ce que j'avais fait. J'ai cru qu'il allait m'embrasser. Il m'a accompagnéchez le Général vendredi soir. J'ai passé là une des heures les plus désagréables de mon existence 1 . »
Matignon, 5 juin 1962.
La chambre criminelle de la Cour de Cassation a prononcé l'irrecevabilité du recours du bâtonnier. Et pourtant, le courroux du Général est retombé. Il a renoncé à faire exécuter Jouhaud. S'est-il rendu compte que Pompidou, par sa fermeté respectueuse mais inébranlable, lui avait rendu un grand service?
Ce n'est pas sûr. Car, si j'en crois Pompidou lui-même, ce n'est pas sa menace de démission qui a fait reculer le Général. Entre-temps, grâce au délai imposé par l'initiative de Foyer, est intervenu... l'imprévisible.
«Jouhaud, m'explique Pompidou, a proposé, du fond de sa cellule, de lancer un appel à l'OAS pour qu'elle cesse au plus tôt le combat. (Salan a accepté de se joindre à lui, mais quelque temps après, de manière à ne pas paraître manœuvrer pour acheter la grâce de Jouhaud.) Le Général a tout de suite vu à la fois que cet appel était primordial pour l'intérêt national, et qu'il ne pouvait décemment pas laisser exécuter Jouhaud après avoir donné son accord à la transmission de son message. Donc, c'est gagné.»
Il est rayonnant, mais il contient sa joie; il sait que le plus rude est encore devant nous.
« Tout cela suit son cours »
Au Conseil du 13 juin 1962, Robert Boulin annonce : « Les départs s'accélèrent. Parmi eux, augmente la proportion des vrais rapatriés, des pauvres gens qui ont tout abandonné et qui
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