C'était De Gaulle - Tome I
maintenir, quelles que puissent être les fluctuations, et prendra à cet effet les initiatives nécessaires.
AP. — Vous trouvez que la continuité et la stabilité du régime ne sont pas assurées?
GdG. — Ben non! Évidemment ! Vous voyez bien ce qui se passe déjà : tout ce grenouillage, depuis quinze jours que le MRP nous a claqué dans les doigts. Moi, c'est particulier. La légitimité m'a été conférée par l'Histoire. Il faut désormais que la légitimité soit directement conférée par le souverain, c'est-à-dire par le peuple. Je rappellerai donc que tout ce qui a été fait depuis 58, l'a été grâce à la confiance dont les Français m'ont investi. D'ailleurs, à cette occasion, je réglerai leur compte aux gens du 13 Mai.
«Cette confiance m'a obligé et m'a soutenu jour après jour. L'entente directe entre le peuple et celui qui a la charge de le conduire est devenue, dans les temps modernes, essentielle à laRépublique. J'annoncerai que, le moment venu, je ferai en sorte que, dans l'avenir et par-delà les hommes qui passent, la République puisse demeurer forte, ordonnée et continue. »
Ces phrases sortent plus vite et leur style sent l'huile, contrairement à l'ordinaire de son langage oral. Sans aucun doute, il récite un texte déjà écrit. Il ajoute aussitôt: « Mais ça, vous ne le divulguez pas. Vous vous en tenez à la formule que je viens de vous dire (il me la fait répéter et approuve).
AP. — Si je comprends bien, vous voulez annoncer que vous allez faire adopter le régime présidentiel?
GdG. — Mais non! (Il a la charité de retenir un: "'Vous n'avez rien compris" qui doit lui brûler les lèvres.) Le régime présidentiel à l'américaine n'est pas du tout fait pour la France ! Notre régime est très bien comme il est! Simplement, nous allons instituer l'élection populaire du Président. Les Français seront la source directe du pouvoir exécutif, comme ils le sont déjà du pouvoir législatif. Et s'il y a des bisbilles entre les deux pouvoirs, le peuple tranchera, soit par la dissolution, soit par le référendum, soit par une nouvelle élection présidentielle.
AP. — C'est une révolution copernicienne ! »
Cette expression doit lui paraître pédante. Au lieu d'approuver d'un mouvement de la tête, comme il le fait souvent quand on reformule sa pensée, il me regarde comme si je m'étais rendu coupable d'une interruption incongrue.
« Que mes successeurs soient obligés de tenir la charge »
Il reprend, façon de me rectifier: «Vous allez voir, c'est un tournant capital. Cette année sera, à tous égards, celle du grand tournant de la France. (C'était donc de ce tournant-là qu'il voulait parler 1 .) On ne pourra plus spéculer sur le retour des partis pour saboter les accords d'Évian et le reste.
AP. — Mais comment pensez-vous vous y prendre ?
GdG. — Par un référendum, évidemment! Comment voulez-vous que je m'y prenne autrement?
AP. — Vous vous appliqueriez cette réforme à vous-même?
GdG. — Mais non! Je n'ai aucun besoin de l'élection au suffrage universel pour moi! Ce sera pour mes successeurs. Il faut qu'ils soient en mesure de tenir la charge en dehors et au-dessus des partis. Comprenez-vous, il faut qu'ils soient o-bli-gés de tenir la charge. Si mon successeur reçoit le sacre du suffrage universel, il ne pourra pas se dérober devant ses responsabilités.»
Il se renverse dans son fauteuil et relève la tête. Il me regarde de haut et de loin. Il revit devant moi l'histoire de la République:
«Quand Mac-Mahon a perdu le pouvoir parce que les partis avaient gagné les élections, le congrès de Versailles a choisi Jules Grévy, celui qui annonçait d'avance qu'il ne serait qu'un bac à fleurs. Et tous ses successeurs de la III e et de la IV e ont été prisonniers de ce précédent. Le lâchage de ce lamentable Grévy les a tous obligés à lâcher aussi. Y compris Poincaré et Millerand, qui auraient bien voulu reprendre les prérogatives présidentielles telles qu'elles étaient fixées dans la Constitution. C'était trop tard. Le chef de l'exécutif, ce n'était plus le Président de la République, mais le Président du Conseil, qui pourtant n'était même pas prévu dans les textes de 1875. Les partis, sous la III e et sous la IV e jusqu'à moi, ont régné au Parlement en maîtres absolus.
AP. — Vous pensez que l'élection au suffrage universel du Président le ferait échapper à la pression des partis ?
GdG.
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