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C'était De Gaulle - Tome I

C'était De Gaulle - Tome I

Titel: C'était De Gaulle - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
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— Si mon successeur reçoit le sacre du suffrage universel, c'est la seule chance qu'il n'esquive pas le devoir de porter à bout de bras la nation. Sinon, tout ce que nous aurons voulu faire sera balayé.

    « Si, ça presse ! »
    AP. — Mais puisque vous êtes là et que vous n'entendez pas vous appliquer cette réforme, pourquoi voulez-vous la réaliser maintenant? Rien ne presse.
    GdG. — Si, ça presse! Il faudra le faire à l'automne.»
    Il prend sa respiration. Il hésite à aller plus loin. Mais il est parti pour tout dire. Il reprend:
    « D'abord, à mon âge, on ne sait jamais ce qui peut arriver, il faut prendre toutes les précautions. Et puis, si l'OAS me zigouille...
    AP. — Vous pensez que personne, après vous, ne pourrait maintenir le système que vous avez institué?
    GdG. — Personne. Tout serait balayé, je vous dis, à commencer par les institutions.
    AP. — Même si c'était Pompidou, ou Debré, ou Chaban ?
    GdG. — Même eux! Et d'ailleurs, croyez-vous qu'ils seraient élus? Eux-mêmes seraient balayés! Les combinaisons des partis reviendraient en force. Il faut laisser les années faire leur œuvre pour consolider le régime; c'est trop tôt pour qu'il se consolide tout seul. Regardez ce que vient de faire le MRP : il se prépare à rétablir la troisième force, comme sous la IV e , en n'excluant que les communistes et nous. Tous ces partis s'entendent comme larrons en foire. Et entre eux, je te tiens, tu me tiens par la barbichette ! »
    Il s'exalte devant les perspectives qu'il avance.
    GdG : « Mais vous verrez! Si cette réforme est adoptée, tout va changer. On ne pariera plus sur l'effondrement du régime, mais sur son maintien. Et même, le jour où je l'annoncerai, les gens vont se déclarer pour ou contre. Chacun va vouloir prendre des primes d'assurance contre le danger. Dès que le débat sera lancé, il deviendra clair que, si nous l'emportons, le successeur du général de Gaulle aura autant que lui les moyens de faire fonctionner la nouvelle République. Mon propre pouvoir en sera affermi. On ne pourra plus spéculer sur le retour en force du régime des partis. Les agitations se calmeront. Naturellement, à condition que nous gagnions. Mais on ne gagne rien si on ne risque rien. »

    « Rien de tout ça à personne »
    Au moment de me serrer la main, son autre main sur la poignée de la porte: « Vous ne dites rien de tout ça à personne. »
    Me voilà donc porteur d'un lourd secret. Personne, a dit le Général: je ne peux donc en parler à Pompidou ? D'ailleurs, celui-ci est fort susceptible. Si j'enfreins en sa faveur l'ordre que j'ai reçu, de deux choses l'une: ou bien il connaît déjà cette intention du Général, et il trouvera inconvenant que j'aie imaginé qu'il pouvait l'ignorer; ou bien il va tomber des nues, mais il m'en voudra sûrement d'avoir été le détenteur d'une confidence de première grandeur qui ne lui aurait pas été faite au préalable. Et dans les deux cas, il pourrait trouver que je manque au secret que je dois au Général.
    C'est alors que je commençai, en appliquant la même analyse à d'autres confidences, à faire à Pompidou des cachotteries, desquelles je devenais prisonnier. Situation fausse et dont je ne savais comment me tirer, sans manquer à mes devoirs soit envers l'un, soit envers l'autre de mes deux chefs. Je n'aurais pu effacer mes scrupules qu'en adoptant la thèse que le Général m'avait exposée quand j'étais entré au gouvernement, selon laquelle le chef du gouvernement, c'était lui — le Premier ministre n'étant qu'un ministre parmi d'autres, primus inter pares. Mais de Gaulle lui-même n'arrivait nullement à imposer cette thèse au monde politique, et j'avais l'impression qu'elle était de moins en moins la sienne à mesure que Pompidou affirmait son autorité.
    Le pire est que souvent, en vue de favoriser la lente imprégnation des esprits qui me paraissait indispensable pour faire évoluer l'opinion en lui évitant les traumatismes, je laissais filtrer aux éditorialistes que je recevais en petit comité deuxfois par semaine, sous forme d'hypothèses personnelles, ce que je m'interdisais de dire à mon Premier ministre. De sorte que celui-ci apprenait par des bavardages ce que je ne me permettais pas de lui dire à lui-même... C'est merveille que ce porte-à-faux ait pu durer presque quatre ans.

    Matignon, 5 juin 1962.
    Personne dans la presse n'a saisi le sens et l'importance de la déclaration que le

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