C'était de Gaulle - Tome II
somme, vous voudriez que nous nous prêtions à l'hypocrisie anglo-saxonne. Mais ne coupons pas les cheveux en quatre ! Si nous estimons que c'est le tunnel qui doit être choisi, ce sera le tunnel, même si les routiers ne sont pas contents. Le tunnel ne les réduira pas à la misère. »
Le Général m'avait dit : « Le pont n'est pas pratique. Il passe dans le canal des quantités incroyables de bateaux dans le brouillard. Déjà, des navires avec des radars se cognent les uns dans les autres ; ils se cogneront sur les piles. Le tunnel représente la sécurité. Pour moi, c'est le tunnel ! Donc, ce sera le tunnel. » Pompidou, tout en pensant qu'on finira effectivement par le tunnel, refuse qu'on se mette en avant : pourquoi recevoir des coups sans nécessité ? L'audace téméraire de Don Quichotte et la prudence bonhomme de Sancho Pança : deux styles s'affirment — non sans tension, parfois.
Après le Conseil, le Général me dit : « Après tout, ce n'est pas exclu que le tunnel change la mentalité des Anglais et fasse d'eux des Européens. C'est possible que les Anglais prennent l'habitude de passer leurs vacances en France, de venir voir les expositions à Paris, etc., d'apprendre le français. Ça pourrait changer la donne. Mais l'Angleterre restera une île longtemps encore.
« Les Anglais ne savent plus où ils en sont »
Salon doré, 4 décembre 1963.
Kennedy assassiné le 22 novembre 1963, les États-Unis ont un passage à vide. Est-ce une occasion que l'Angleterre peut saisir ?
AP : « Croyez-vous que Home 3 cherchera à prendre la relève de Kennedy pour la détente Est-Ouest ?
GdG. — Il n'y a pas de détente Est-Ouest. Tout ça n'est que faux-semblants. La détente n'existe pas. Les Russes veulent dominer, veulent faire progresser leur système et leur idéologie. Ils profiteront de toutes les faiblesses de l'Occident pour marquer des points. Ils font alterner le sourire et la menace. La menace réveille les endormis, le sourire les rendort. La détente, c'est de la rigolade. Si Home veut se mêler à cette rigolade, c'est son affaire. Ça ne m'intéresse pas.
AP. — Pensez-vous que Home ait un rôle important à jouer, ou que c'est un personnage de transition destiné à disparaître vite ?
GdG. — Ça dépendra des élections. Mais qu'il disparaisse ou pas, peu importe. La Grande-Bretagne, ce n'est plus grand-chose. En tout cas, pour le moment. Comme si elle était vidée par l'effort gigantesque qu'elle a dû fournir quand elle était seule face à l'Europe d'Hitler. Oh, certes, il y a toujours des apparences. Il y a encore des habitudes. Il y a la communauté de langue avec les Américains. Il y a les traditions royales, les institutions anglaises. Mais tout ça, pour l'heure, ne compte guère. Macmillan était flageolant et Home le sera tout autant.
AP. — Si les travaillistes remportaient une grande victoire, ils pourraient reprendre l'initiative, mener une politique à eux ?
GdG. — Pourquoi voulez-vous ? Les travaillistes en Angleterre seront comme les socialistes ailleurs. Ils feront de la démagogie. Ils videront les caisses et ils descendront la pente. (Rire.)
AP. — Croyez-vous qu'ils abandonneront la force de frappe anglaise ?
GdG. — Non. Ils se sont engagés publiquement à la conserver. Mais Macmillan, depuis les Bahamas, a pratiquement renoncé à en garder la disposition. Et ils lui enlèveront toute efficacité de dissuasion, puisqu'ils feront du pacifisme bêlant, comme les socialistes de tous les pays. » (Rire.)
« C'est bizarre, comme démocratie »
Salon doré, 14 février 1964.
J'interroge le Général sur ce qu'Erhard lui a dit de ses entretiens à Londres :
GdG : « Il a découvert l'Amérique... en Angleterre ! Il a enfin compris qu'on ne pouvait rien faire avec les Anglais jusqu'à nouvel ordre. Les conservateurs voudraient se faire admettre en Europe, les travaillistes veulent conserver le Commonwealth. De toute façon, quels que soient les vainqueurs, l'Angleterre n'acceptera jamais une Europe fédérale et refusera d'abandonner la moindre parcelle de souveraineté.
« Les Anglais ne savent plus où ils en sont. Même Erhard, qui était aussi anglophile que Schröder, s'en est rendu compte. Ils sont malheureux. Malheureux à Chypre ; malheureux en Afrique orientale ; malheureux en Malaisie, où ils ont essayé de faire des constructions artificielles pour garder les rênes en main, tout en ayant l'air de ne pas les avoir 4 . Ils sont
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