C'était de Gaulle - Tome II
apporté tant de soin, le Général m'a dit : « Joxe fera ça très bien, tandis qu'en Turquie il ne ferait pas le même effet que le Premier ministre. Il faut que Pompidou se fasse connaître de par le monde. Il faut qu'il prenne stature. »
« Je n'entreprendrai pas un autre mandat »
Aussi, profitant de la bonne humeur évidente du Général, je lui pose la question qui est déjà sur toutes les lèvres, bien que nous soyons encore à deux ans et demi de l'échéance.
AP : « Comment voyez-vous votre succession, mon général ? Vous représenterez-vous ?
GdG (sans hésiter). — Non, je finirai mon septennat, si Dieu me prête vie, puis je me retirerai.
AP (naïvement). — Ne croyez-vous pas que, pour assurer la survie du régime, la meilleure solution serait que vous vous présentiez à la présidentielle de 65, que vous accomplissiez deux ans d'un second septennat, de manière à assurer notre succès aux législatives de 67 et à mettre le régime tout à fait en selle? Après quoi, vous pourriez vous retirer sans danger, le régime ayant été consolidé. Le pli aurait été pris par les Français d'avoir un Président et une Assemblée qui le soutient. »
« Il ne faut pas tromper les Français ! »
Le Général me rembarre sévèrement : « Mais non! Non, ça ne va pas ! Pour deux raisons.
« D'abord, parce que le pays ne doit pas reposer sur l'Assemblée, mais sur le Président. Alors, que les législatives soient gagnées ou perdues, c'est secondaire. Ce qui compte, c'est que le Président ait la majorité du peuple derrière lui ; si cette condition est remplie, tout le reste s'arrangera de surcroît.
« Et puis, on ne peut pas se présenter au suffrage du peuple pour un mandat de sept ans et se retirer sur la pointe des pieds après deux ans ! C'est pas honnête ! Il ne faut pas tromper les Français! Il faut leur dire la vérité! Ça ne serait pas clair, de se présenter soi-disant pour rester sept ans et puis, en réalité, rester deux ans. Sept ans, c'est sept ans. Il me faut tenir tout ce septennat. Je n'ai pas le droit d'en recommencer un autre, si je n'ai pas l'intention de le continuer jusqu'au bout. Non, ce que je ferai sans doute, ce sera de proposer aux Français celui qui me paraîtra le plus capable alors de poursuivre ce que j' ai entamé. Et je dirai au peuple : " Voici celui que je vous recommande, c'est le meilleur."
« Les distillateurs de nuances n'y auront pas leur compte »
AP. — Dans ce cas, votre candidat aurait les meilleures chances. Mais le successeur de votre successeur ?
GdG. — Ce qui compte, c'est la continuité. Le peuple le sait bien. Quand je me retirerai, la question sera de savoir si on continue dans la même ligne, ou si on prend la ligne opposée. Les coupeurs de cheveux en quatre et les distillateurs de nuances n'y auront pas leur compte. Ça, le peuple le sentira. Il n'en a jamais eu l'occasion jusqu'ici, mais il ne s'y trompera pas, je n'en doute pas. Et pour l'élection suivante, ce sera pareil.
« Quand le peuple est consulté dans les élections législatives ordinaires — et encore plus dans des élections partielles, comme cette élection de l'Hérault 1 —, les enjeux ne sont pas nationaux. Alors, les électeurs se préoccupent des intérêts locaux ; et c'est le plus démagogue qui gagne. C'est celui qui promet de mieux défendre la viticulture quand il s'agit de vignerons, ou l'ostréiculture quand il s'agit de ramasseurs d'huîtres. Mais quand il s'agira d'élire le chef des Français, tous les Français sentiront que le problème n'est pas dans les huîtres ni dans la vigne. Le problème ne sera pas de défendre les intérêts d'une catégorie contre une autre. Le problème sera de faire appel à celui qui sera le plus capable de rassembler les Français, d'assumer l'État, d'assurer le salut du pays.
AP. — Êtes-vous certain que le besoin de continuité sera la seule motivation des électeurs?
GdG. — C'est en tout cas la meilleure chance que nous ayons de faire survivre ce régime. C'est beaucoup plus important que les partis que vous pouvez créer.
AP. — Tout dépend du nombre de candidats qui se présenteront.
GdG. — Oui, s'il y a un candidat communiste au premier tour, lecommuniste aura les voix de tous les communistes. Ce qui comptera, c'est simplement que le nôtre vienne nettement en tête au premier tour. Alors, nous aurons gagné à coup sûr pour le second tour.
« Un ancien de la IV e , le peuple le vomira
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