C'était de Gaulle - Tome II
« Nous avons frôlé notre affaire Profumo. Encore heureux que ce zigoto n'ait pas été ministre ! Les Soviets l'ont fait tomber dans un traquenard dégoûtant ; puis ils l'ont fait chanter. Dans la défense et la diplomatie, il ne faut jamais employer d'homosexuels. Ce sont des cibles trop faciles. »
« Alors, on aime les femmes ? »
Salon doré, 14 janvier 1964.
GdG : «Encore une histoire lamentable. Ce pauvre X... 3 a trouvé le moyen de se faire faire aux pattes. Les Soviets l'ont fait tomber dans les griffes d'une bonne femme. Un peu plus, et les collections de nos télégrammes passaient au Kremlin. »
L'aide de camp me raconte que cet ambassadeur, qui avait été dans les premiers diplomates à rejoindre la France libre, avait demandé audience pour se justifier. Le Général l'a reçu quelques secondes seulement : « Alors, X..., on aime les femmes ? » Et il l'a congédié sans lui serrer la main. L'homosexualité n'est donc pas la seule cause de vulnérabilité...
Il ne recule pas devant les mots de corps de garde : « Les pieds-noirs ont été lamentables ! Ils ont eu peur qu'on leur coupe les... » Mais quand je réponds : « Ça compte quand même, on comprend qu'ils s'en soient souciés », le Général ne rit pas. S'il emploie ces termes vifs, il n'aime pas qu'on file la métaphore jusqu'à en imaginer la réalisation : il en a évacué la vigueur et n'apprécie pas qu'elle resurgisse.
De temps en temps, le Général lâche un mot drôle sur les femmes : « Quand elles sont laides, il vaut mieux les regarder de profil ; comme ça, on n'en voit que la moitié. » Mais la plupart du temps, il fuit ce sujet, qui ne l'intéresse pas. Un seul l'intéressait vraiment, la France.
Il sait lui-même se mettre à l'abri du soupçon :
1 er juin 1978 . Maurice Schumann nous raconte, au cours d'un déjeuner avec Roger Frey et Edgar Faure :
« Le soir de Bir-Hakeim, le Général, très ému mais voulant dominer son émotion, marche à pied dans les rues de Londres vers 11 heures du soir. Deux Françaises, qui exercent visiblement le plus vieux métier du monde, l'accostent, le reconnaissent. L'une d'elles sort de son sac une photographie de lui, pour qu'il l'agrémente de sa signature. Je songe à le mettre en garde : ces dames risquent de se servir d'un autographe pour orner leurs murs et hausser leurs tarifs. Mais le Général demande déjà aux deux Françaises leur nom de jeunes filles — elles étaient mariées à des Anglais, condition nécessaire et suffisante pour être admises à exercer leur métier. Il griffonne cette dédicace : À Madame Ginette Dupont, qui a travaillé pour l'entente cordiale. »
« Quand on a eu l'Histoire pour amie , comment pourrait-on en avoir d'autres ? »
Le Général a-t-il eu des femmes dans sa vie ? Les gaullistes se posaient souvent la question.
On murmurait qu'il avait eu une maîtresse en Pologne, quand il est allé servir dans l'armée Weygand contre les bolcheviques, en 1919-1921. L'ambassadeur Gajewski racontait, dans les dîners diplomatiques à Paris, que Mme de Gaulle lui aurait demandé : « C'est vrai, ce qu'on raconte, que mon mari a eu une liaison en Pologne ? » Gajewski prétendait qu'il avait juré sur ses grands dieux qu'il n'en était rien. Mme de Gaulle, sceptique tout de même, aurait soupiré : « Enfin... c'était avant de m'épouser. »
De fait, tous ces ragots, imaginaires ou non, se rapportent aux années d'avant 1940, même s'ils ont surtout alimenté les conversations après 1940, dès que le Général devint célèbre.
Les Français libres de Londres, et plus tard l'entourage du Comité français de Libération nationale à Alger, ne se privaient pas de fouiner pour savoir si le Général avait des faiblesses. S'il y avait un guerrier français qui aurait eu droit au repos, n'était-ce pas lui ? Jamais ils ne purent le prendre en défaut. Cette austérité monacale ne fut pas étrangère à l'espèce d'admiration sacrée qu'ils éprouvaient pour lui.
« Quand on a eu l'Histoire pour amie, comment pourrait-on en avoir d'autres ? » a-t-il écrit. L'Histoire était sa maîtresse exigeante et exclusive. Elle ne lui aurait pas pardonné la moindre infidélité.
1 Secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
2 John Profumo, ministre britannique de la Défense, venait de démissionner, au milieu d'un scandale retentissant, après qu'eut été révélée sa liaison avec Christine Keeler, une call-girl impliquée
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