C'était le XXe siècle T.1
quittent Belgrade après s’être laissé offrir un dîner d’adieu par le comité de La Mort ou la Vie. Ils sont munis d’argent, d’armes – et aussi de cyanure : il est prévu que, s’ils se voient en danger d’être pris, ils se donneront la mort.
Pour se rendre de Belgrade à Sarajevo, il leur faut huit jours et huit nuits. D’abord, ils voyagent en bateau sur la Save. Après quoi ils sont pris en main par le « tunnel ». Chabrinovitch, qui s’est disputé avec les autres, continue seul. Princip et Grabez sont acheminés de relais en relais jusqu’à la destination prévue. Des paysans, des petits fonctionnaires, des commerçants les accompagnent pendant quelques kilomètres. Tous seront pendus ou condamnés à de lourdes peines de prison.
Le 4 juin, les trois conjurés se retrouvent à Sarajevo. Alors Chabrinovitch révèle à Princip et Grabez que François-Ferdinand sera dans la ville le 28 juin.
Le choix de cette date est à lui seul une provocation : le 28 juin, c’est l’anniversaire de l’assassinat à Kosovo du sultan Mourad par Milos Obilitch. C’est très exactement comme si, en 1917, le roi d’Angleterre s’était rendu à Dublin le jour de la Saint-Patrick.
François-Ferdinand le sait-il ? Assurément. Les avertissements lui sont venus de tous côtés. Mais l’archiduc est brave. Et aussi fataliste. Deux mois avant sa mort, parlant de sa sécurité, il a haussé les épaules et déclaré :
— Des précautions ? Des mesures de sécurité ? Je n’en ai que faire. Nous sommes partout dans la main de Dieu. Regardez, de ce buisson-là, à droite, un type peut surgir et me sauter dessus… Les craintes et les précautions paralysent la vie d’un homme. La peur est toujours dangereuse.
Sophie – elle – ne peut dissimuler qu’elle tremble pour son mari. À plusieurs reprises, elle l’a interrogé sur la nécessité de ce voyage à Sarajevo. Le vieil empereur François-Joseph lui-même a conseillé à son neveu d’y renoncer. Il parlait d’expérience : c’est à Sarajevo que naguère on avait tenté déjà de l’assassiner. François-Ferdinand a répondu :
— Je suis inspecteur général des forces armées austro-hongroises. Je dois aller à Sarajevo. Les soldats ne pourraient jamais s’expliquer mon absence !
Ce qu’il a annoncé, il l’accomplit donc. Le jour même où débutent les grandes manœuvres – le 26 juin – François-Ferdinand descend de son train spécial à la station thermale d’Ildizé. Sophie l’y attend. Sa femme toujours aimée.
Dans l’ombre, l’attentat se prépare. Non sans mal. Avec une détermination calme, Princip attend le moment opportun pour agir. Les bombes et les revolvers, il les a cachés sous son lit. Danilo Ilitch traverse quant à lui une crise morale grave. Il en est venu à remettre en question à la fois l’assassinat de François-Ferdinand et le principe du terrorisme individuel. En fait, cette attitude nouvelle lui a été soufflée. Sans que l’on sache bien pourquoi, la Main noire a souhaité annuler l’attentat. Charac a rejoint Ilitch et lui a donné l’ordre de tout arrêter. Ilitch à son tour a tenté de convaincre Princip. En vain. Princip répond qu’il ira jusqu’au bout et que rien ne pourra le faire dévier de la décision qu’il a prise. Ilitch lui donne raison.
Au cours de la nuit du 26 au 27 juin, les conjurés parlent entre eux jusqu’à 3 heures du matin. On choisit les endroits qui se prêtent le mieux à l’attentat. Les conjurés connaissent dans le détail l’itinéraire que suivra l’archiduc. Il leur a suffi d’ouvrir les journaux : le parcours exact est soigneusement indiqué. Ilitch pense que l’endroit le mieux approprié est le quai Appel qui s’allonge de la gare à l’hôtel de ville. Le cortège doit y passer deux fois. On décide d’y placer six conspirateurs divisés en trois groupes de deux. Chaque groupe devra attaquer simultanément. Si l’un manque son coup, le groupe suivant agira. On désigne à chacun l’emplacement où il devra se poster. Les groupes s’échelonneront sur une distance de trois cents mètres.
Le 27 juin, entre 3 et 4 heures de l’après-midi, on distribue les armes. Chacun reçoit une bombe et un revolver.
Princip, qui d’évidence ne déteste pas les symboles, s’en va déposer des fleurs sur la tombe de Zerajitch. En 1910, celui-ci avait tiré sur le gouverneur autrichien de Sarajevo, l’avait manqué et s’était
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