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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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6 h 45, l’un des bénéficiaires, le matelot Rudy Cantel, achève avec d’autres l’escalade du djebel Murdjadjo. À six cents mètres d’altitude, que ferait-il d’autre sinon contempler la rade de Mers el-Kébir ?
    Or, dans la rade, il y a l’escadre.
    Il en a le souffle coupé, le matelot Cantel. Il connaît le nombre exact des bateaux. Il peut en réciter tous les noms. Une chose est de savoir, une autre est de voir. Et il voit : amarrés le long de la digue, qui, à l’ouest, s’avance en pleine mer, voici le Dunkerque , 26 500 tonnes, huit canons de 330 dans deux tourelles avant, deux hydravions à bord. Flanqué du cuirassé Provence , voici le Strasbourg , 27 500 tonnes, 215 mètres de long, 31 mètres de large, une puissance de 130 000 chevaux, deux tourelles quadruples de 330 sur la plage avant, seize pièces de 130 en cinq tourelles sur la plage arrière. Voici le cuirassé Bretagne , le transporteur d’avions Commandant Teste . Au fond de la rade et leur faisant face, les contre-torpilleurs Mogador , Volta , Terrible , Lynx , Tigre , Kersaint . Des sous-marins enfin.
    C’est sur le Dunkerque que l’amiral Gensoul a sa marque : frappé de quatre étoiles, le pavillon national flotte au mât des signaux.
     
    Les Romains appelaient Portus divinus la rade où tout va se jouer. Au XVI e siècle, pour les Espagnols elle est devenue la Marzalquivir. Après 1870, les Français y ont installé un port aux aménagements sommaires. Les marins de l’époque jugeaient, en fait d’abri, que le site naturel suffisait. Quand Oran s’est érigée en grande cité et a creusé son propre port pour l’exportation des vins qui faisaient sa richesse, la rade de Mers el-Kébir est passée au second rang. Ce n’était plus qu’« un port de refuge, un relais pour les grands navires  (27)  ». À l’extrémité du cap, on a installé un phare et un sémaphore. Ne restait là qu’une petite garnison de marins, presque coupée du monde.
     
    C’est l’amiral Darlan qui, entre les deux guerres, a décidé de faire de Mers el-Kébir une base exclusivement militaire. On l’a flanquée d’une première jetée, on a construit une nouvelle digue à l’est, créé des terre-pleins, des môles, des darses, des quais, mis en chantier de grands bassins de radoub, creusé des installations souterraines, érigé une ligne de défense. Le 12 avril 1939, un décret-loi a désigné Mers el-Kébir comme place de guerre de première série. L’escadre de la Méditerranée, jusque-là basée à Toulon, va pouvoir s’y installer, devenant de ce fait moins vulnérable aux attaques éventuelles des Italiens.
     
    Le Dunkerque bruisse et vibre au rythme des machines qui produisent l’électricité. Gensoul le ressent comme une personne vivante. À 6 h 45, sans doute achève-t-il de prendre le petit déjeuner dans sa cabine. À moins que, sur la passerelle qui lui est réservée, il mesure, une fois de plus, l’étendue de la responsabilité qu’il assume.
    Il n’est pas très grand, Marcel Gensoul, plutôt trapu. Le visage n’évoque pas celui d’un ascète, les joues sont plutôt rebondies. Physique qui ne sera pas étranger à la façon dont on présentera son rôle dans la tragédie qui s’annonce. Les mémorialistes se veulent trop souvent sensibles aux apparences. Un physique tourmenté aurait rendu service à l’homme de Mers el-Kébir. Sa rondeur le desservira.
    Une carrière toute droite : Navale, campagnes à travers le monde, commandant d’un contre-torpilleur pendant la Grande Guerre. Les grades vite franchis. Bien noté : « Vues élevées, grand bon sens. » À juste titre ce jugement a frappé Jules Roy  (28) . En 1938, l’amiral Darlan, chef de la flotte française, le nomme commandant en chef de l’escadre de l’Atlantique. Aux premiers jours de la Deuxième Guerre mondiale, celle-ci devient la Force de Raid, amalgame franco-britannique. Gensoul a sous ses ordres le Hood , 42 000 tonnes, orgueil de la Navy.
    La menace italienne se précise. Les amirautés française et britannique décident de renforcer le potentiel maritime en Méditerranée. Quittant le secteur Atlantique, une escadre imposante franchit le détroit de Gibraltar. Gensoul la commande. Le 27 avril, la Force de Raid s’engage dans la passe de Mers el-Kébir  (29) . Elle s’y installe.
     
    Les Italiens sont bien entrés en guerre : le « coup de poignard dans le dos ». La Force de Raid appareille à la

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