C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
m’être possible d’être utile, encore une fois, directement à la France.
Après cette déclaration liminaire, les questions fusent. Il réplique, très à l’aise. On l’interroge sur Lacoste et il répond que Lacoste est son ami. On l’interroge sur Mollet et il rappelle que Mollet fut l’un de ses compagnons, qu’il s’est battu à ses côtés, ce sont des choses qu’on n’oublie pas. On lui demande :
— Mais, enfin, mon général, les libertés fondamentales, certains redoutent que, si vous reveniez au pouvoir, vous y mettiez fin !
Cette fois, il explose :
— Les libertés ? C’est moi qui les ai rétablies ! Pourquoi voudriez-vous qu’à soixante-sept ans, je commence une carrière de dictateur ?
Dans la salle où l’on transpire à grosses gouttes, les rires et les applaudissements éclatent en même temps. Tout à coup, il apparaît à ce public pourtant contrasté qu’une dictature de De Gaulle serait quelque chose de tout à fait invraisemblable. Il se lève. Il est acclamé.
Le lendemain, le général Salan rend hommage à l’homme du 18 juin : « Mon général, vos paroles ont fait naître dans [notre] cœur une immense espérance…» Le 21, le député corse Pascal Arrighi, présent à Alger, s’adresse dans leur langue à ses compatriotes pour les exhorter à « donner l’exemple à la métropole ». Quand il atterrit, à l’aube du 24 mai, à Calvi, l’île se rallie à Alger. La désagrégation du gouvernement s’accélère dangereusement. On annonce que le conseil de cabinet est repoussé d’une heure. René Pleven commente : « C’est bien la seule chose que nous soyons en état de repousser (88) . »
Les navettes s’accélèrent entre Paris et Colombey-les-Deux-Églises. « Encore heureux, dit Alain Savary, que le Général n’ait pas choisi de s’installer à Perpignan ! » Le 24 mai, Georges Pompidou est invité à se rendre à La Boisserie. Le Général lui annonce qu’il lui faudra quitter la banque Rothschild pour se retrouver auprès de lui. Le 26 mai – lundi de la Pentecôte – on lui communique une information, provenant du ministère de l’Intérieur, selon laquelle une « opération de type corse » pourrait être déclenchée sur Paris dans la nuit du lendemain. Voilà qui, à ses yeux, passe les limites du bon sens. Il convoque Marcel Diebolt, préfet de la Haute-Marne – Colombey en dépend – et l’invite à faire connaître à Pierre Pflimlin qu’il veut le rencontrer au plus tôt. Il formule quelque chose qui ressemble assez à un ultimatum :
— Si le président du Conseil n’acceptait pas cette entrevue, le général de Gaulle ne pourrait que reconnaître publiquement cette situation.
Il va jusqu’à fixer le lieu du rendez-vous : il aura lieu, dans le parc de Saint-Cloud, à la résidence du conservateur, M. Félix Bruneau, ami d’ancienne date.
Pierre Pflimlin cédera-t-il la place ? Maurice Schumann le souhaite ardemment. Gaulliste de toujours, l’ancien porte-parole de la France libre à Londres a évoqué pour moi ce souvenir historique :
« Le pire des maux, pour un pays, c’est la guerre civile. Je suis l’ami intime de Pierre Pflimlin qui est mon successeur à la présidence nationale du Mouvement des républicains populaires, et je suis et j’ai toujours été gaulliste. Mon rêve, c’est de rapprocher les deux hommes, et je sais que ce n’est pas un rêve ou, plus exactement, je sais que les vrais réalistes, dans les grandes circonstances, ce sont les rêveurs apparents.
« Et voilà que, le lundi de la Pentecôte, au début de l’après-midi, Pierre Pflimlin me convoque et me dit : “J’ai bien réfléchi, je ne verrai pas le général de Gaulle. J’ai un motif pour cela : j’ai des ministres socialistes. Dans les grandes circonstances, il faut se référer à des principes moraux essentiels. Ils ne toléreraient pas que je le rencontre, donc il n’y aura pas de rencontre.” Voilà tout Pflimlin, c’est pourquoi je l’aime tant.
« Je me précipite à Neuilly, chez Humbert Frèrejean de Chavagneux, directeur général de Réalités , publication à laquelle je collaborais très régulièrement à l’époque. C’est chez Frèrejean que je rencontrais Olivier Guichard, intermédiaire par conséquent avec le général de Gaulle. Justement il est là. Je lui rapporte cette réponse. Olivier Guichard est un homme d’une extrême courtoisie, d’un très grand calme
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