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C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

Titel: C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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française – se glisse chaque jour le flot ininterrompu des réfugiés en provenance de la RDA. Depuis la fin de la guerre, près de 4 millions d’Allemands de l’Est sont passés à l’Ouest : une population équivalant à celle de la Norvège  (106) . Depuis 1958, leur nombre n’est pas descendu au-dessous de 10 000 par mois. En janvier et février 1961, déboulant des frontières ouvertes de Berlin-Ouest, 30 000 habitants ont quitté la RDA. En mars, 16 000. Or 50 % d’entre eux ont moins de vingt-cinq ans : parmi eux se trouvent beaucoup d’étudiants qui ont tiré bénéfice de l’enseignement, souvent excellent, prodigué à l’Est et qui, au lendemain même de l’obtention de leurs diplômes, s’en vont, en toute tranquillité, s’installer à l’Ouest. Un quart sont des médecins, des avocats, des professeurs, des ouvriers spécialisés, des artisans. Aucun doute, ce sont les meilleurs éléments qui désertent l’Allemagne de l’Est. Résultat : en six mois, la région de Halle a vu sa production industrielle baisser de 55 %. À Weissenfels, la construction immobilière a diminué de 70 %.
    Assis derrière des tables couvertes de nappes blanches, de verres et de bouteilles d’eau gazeuse, les journalistes savent que Walter Ulbricht, au mois de mars précédent, s’est rendu à une conférence des pays signataires du pacte de Varsovie – donc dans l’orbite soviétique – et qu’il a nettement posé la question : devait-on empêcher, fut-ce par la force, le passage à Berlin-Ouest de citoyens de la RDA ? On croit savoir que les participants se sont montrés hostiles à toute mesure de coercition. Mais maintenant ?
    Anamarie Doherr, du Frankfurter Rundschau , décide de brusquer les choses. Jusque-là on a plutôt tourné autour du pot. Ulbricht vient d’affirmer avec force qu’il se refuse à envisager la réunion de Berlin-Ouest et de Berlin-Est en une ville libre, ainsi que l’a proposé un sénateur américain. Anamarie Doherr lève la main. D’un signe de tête favorable, Ulbricht lui donne la parole.
    — Monsieur le président, dit-elle, si Berlin-Ouest était déclaré ville libre, cela signifierait-il d’après vous que la frontière d’État de la RDA serait établie à la porte de Brandebourg ? Et s’il en était ainsi, êtes-vous décidé à en supporter toutes les conséquences ?
    À l’instant, toute nuance de bienveillance disparaît du visage ridé d’Ulbricht. Il devient écarlate. Sa voix se durcit, s’enfle pour répondre à la journaliste de Francfort :
    — D’après votre question, je comprends qu’il y a des gens, en Allemagne de l’Ouest, qui souhaitent la mobilisation des maçons de la RDA pour ériger un mur. À ma connaissance, personne n’a cette intention. Les maçons de notre capitale sont occupés à la construction de maisons et sont employés à plein temps. Je l’ai dit déjà et je le répète : nous tenons à régulariser par un accord écrit les relations entre Berlin-Ouest et le gouvernement de la RDA. Nous considérons cette procédure comme la plus simple et la plus normale.
    Martelant ses mots, Ulbricht répète :
    —  Personne n’a l’intention d’ériger un mur .
    C’est ainsi que, pour la première fois, le mur de Berlin est entré dans l’Histoire. Deux mois avant d’exister. Précisément parce que Walter Ulbricht, piqué au vif, venait de jurer qu’il n’existerait jamais.
     
    Pendant vingt-huit ans et quatorze jours, ceux qui ont habité Berlin, ceux qui l’ont visité, ont été confrontés au Mur. Je n’y ai pas échappé et je n’oublie pas. Impossible de rouler longtemps en voiture sans, tout à coup, l’avoir vu surgir devant soi, monstrueux, haut de 3,20 m à 4 m, composé de plaques de béton préfabriquées, elles-mêmes surmontées de rondeaux sur lesquels aucun grappin ne pouvait prendre appui. Si l’on se hissait sur l’une des nombreuses plates-formes d’observation disposées çà et là à l’Ouest, ce que l’on découvrait au-delà c’était un no man’s land tragique coupé de barbelés, de chevaux de frise, de herses et dont on savait qu’il était miné. Plus loin – on n’en croyait pas ses yeux – on devinait un second mur. De loin en loin, en haut de miradors, se tenaient en permanence des Vopos armés et munis de jumelles  (107) . Des patrouilles sans cesse en éveil. Deux cent soixante-dix chenils d’où, à la moindre alerte, surgissaient des chiens

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