C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
trains ?
— Je laissais assez de boulons pour qu’ils ne déraillent pas…
Et Khrouchtchev de s’esclaffer. Ce qu’il s’est bien gardé de dire à Paul-Henri Spaak, c’est que l’histoire de l’homme qui déboulonnait les rails n’était nullement de son cru. Elle est le sujet d’une courte nouvelle de Tchékhov, intitulée Malveillance (117) .
Khrouchtchev ne confirmera pas ses exigences. Les Alliés continueront, sans contrôle, à avoir accès à Berlin.
Victoire à la Pyrrhus ? Assurément, les droits des Occidentaux se sont vus confirmés, mais le Mur est resté en place, plus haut, plus large que jamais. Certains voudront le franchir encore. Ils réussiront parfois ou mourront de l’avoir tenté.
Le général Clay, envoyé en mission à Berlin par Kennedy, a cru y retrouver toute son ancienne popularité du temps du pont aérien. Il se veut un adepte de la manière forte. Aux provocations soviétiques, il préconise de répondre coup pour coup. Sans cesse, Washington s’acharne à le modérer.
Le 3 avril 1962, un soldat de l’Armée populaire de l’Est tâche de franchir le Mur. Les gardes-frontière de la RDA ouvrent le feu sur lui. Sous les yeux des soldats américains, britanniques et français, il s’abat. Il va perdre jusqu’à la dernière goutte de son sang sans qu’un seul Occidental puisse intervenir.
Le général Clay convoque le général Watson :
— Général, cette fois, les Américains, les Anglais, les Français ont regardé un être humain saigner à mort… Évidemment lé fugitif était un soldat est-allemand ; mais c’était aussi un homme. Personne ne l’a secouru. Général Watson, un jour vous aurez à choisir et à décider si vous voulez porter secours ou non. Réfléchissez : si dans une telle situation vous vous récusez, vos officiers se détourneront de vous, le soir, au mess, en disant : « Regardez, voilà le lâche ! »
Clay demande à être rappelé. Ce que John Kennedy accepte. Sans faire de difficulté.
Trois mois plus tard, la prédiction de Clay se réalise. À 14 heures, le 17 août 1962, deux maçons de dix-huit ans, Peter Fechter et Helmut Kulbeik, s’arrêtent près du Mur, à cent cinquante mètres de Checkpoint Charlie , le passage qu’utilisent les étrangers. Fechter et Kulbeik ne supportent plus le climat de Berlin-Est. Fechter veut rejoindre sa sœur qui habite Berlin-Ouest. Les voilà devant l’obstacle. Écoutons Kulbeik : « Nous avions franchi la première haie de barbelés et parcouru l’espace de dix mètres qui la sépare du Mur. Peter Fechter arriva le premier. J’étais à deux ou trois pas derrière lui. À ce moment, on tira. Autant que je puisse m’en souvenir, il y eut cinq ou six coups de fusil. Les balles venaient de la gauche, donc de la Markgrafenstrasse. Peter resta comme pétrifié devant le Mur au pied duquel j’étais aussi arrivé. Je me hissai et me frayai un passage à travers les barbelés tendus sur le faîte. Je ne sais pourquoi Peter n’a pas grimpé ; il aurait dû être sur le Mur avant moi. Il ne disait pas un mot et j’avais l’impression qu’au premier coup de fusil, il avait reçu un choc. Je lui criai : "Allez, allez, vas-y !" Mais il ne bougeait pas…»
Les Vopos tirent de nouveau, atteignant Fechter au dos et au ventre. Il pousse un grand cri, glisse vers la terre, cependant que rougissent son pantalon et sa chemise. Pendant plusieurs minutes, de façon insupportable, il appelle au secours. Bientôt, on n’entend plus que des gémissements. Par-dessus le Mur, des policiers de Berlin-Ouest lui jettent des boîtes de pansements. Pour les atteindre, il faudrait ramper. Il s’en révèle incapable.
Douze minutes après les premiers coups de feu, le général Watson est prévenu par l’officier américain de service à Checkpoint Charlie :
— Général, à cent cinquante mètres d’ici, un fugitif blessé gît devant le Mur, et il appelle. Que dois-je faire ?
Watson répond :
— Il est dans le secteur Est ? Envoyez une patrouille, mais restez de notre côté.
Les six MP américains expédiés sur place ne peuvent que regarder le malheureux mourir. La télévision de l’Ouest filme les derniers soubresauts de Peter Fechter. Groupés près du Mur, plus de deux cents Berlinois insultent les gardes-frontière de l’Est : « Assassins, bandits ! » Les Vopos répondent par un jet de gaz lacrymogène.
Sollicité de tous côtés, le général Watson
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