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C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

Titel: C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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en prison quelques semaines plus tôt, et de son secrétaire personnel, Poskrebychev qui le servait depuis vingt ans. Ce que remarque encore Svetlana, c’est que son père a cessé de fumer. Avec fierté, il le lui confirme plusieurs fois ; elle saura, sans doute par la servante Valentina Vassilievna, que sa tension augmente. Pour se soigner, il prend quelques comprimés et boit de l’eau dans laquelle il jette quelques gouttes d’iode. Svetlana s’inquiète : son père n’a-t-il pas de médecin ? Non. Il n’en a plus. Il n’avait confiance qu’en Vinogradov et personne d’autre.
    Or l’académicien Vinogradov vient d’être jeté en prison.
     
    Le 13 janvier 1953, l’agence soviétique Tass annonce l’arrestation d’un groupe de neuf médecins, dont six Juifs. Voilà donc accompli le troisième événement exceptionnel annoncé par Harrisson E. Salisbury : l’affaire du « complot des blouses blanches », engagée depuis plusieurs semaines et rendue publique. Sa dénonciatrice sera bientôt célèbre. Il s’agit d’une femme médecin spécialisée dans la radiologie : Lydia Timachouk. La Pravda conte son histoire. Au chevet d’un malade, elle a rencontré un professeur, « un savant de grand renom, au grand titre » : un confrère certes, mais il est tout et elle n’est rien. Elle s’aperçoit que les diagnostics formulés par cette gloire de la médecine sont faux et que le traitement prescrit peut entraîner la mort. Aussitôt, elle écrit au grand Staline. Le miracle est que celui-ci lit sa lettre et qu’il exige aussitôt une enquête. « Si Staline avait été un homme normal, dira Khrouchtchev, il n’aurait pas accordé la moindre attention à la prose de Timachouk. De telles lettres émanent toujours de déséquilibrés ou de gens qui cherchent à perdre leurs ennemis. Mais Staline se montrait plus que réceptif à ce genre de littérature… Il appelait cela "vigilance" et il avait l’habitude de dire que si une dénonciation contenait 10 % de vérité nous devions ajouter foi au rapport accusateur tout entier. Mais comment trouver même 10 % de vérité dans une lettre comme celle de Timachouk ? » Ce que l’on a su plus tard, c’est que Lydia Timachouk travaillait à l’hôpital du Kremlin en qualité d’agent de la Sécurité d’État. À l’accueil empressé réservé par Staline à sa lettre, on trouve deux raisons : son antisémitisme de longue date et l’aggravation de son propre état de santé. Atteint d’artériosclérose, une grave alerte au début de l’hiver a fait appeler à son chevet les plus grands médecins de Moscou. Parmi eux, le cardiologue Vinogradov, membre de l’Académie de médecine et décoré de l’Ordre de Lénine. Conclusion des médecins : « Il n’y a plus de remède que le repos, l’éloignement…» Staline les a regardés de ses petits yeux mi-clos. D’une voix douce, il a lancé :
    — La médecine russe est-elle à l’avant-garde ou en retard ?
    — À l’avant-garde.
    — Alors, guérissez-moi. La Russie et le peuple ont besoin de moi.
    Obstinés, les médecins ont répété : « Seul le repos…» Quand ils sont sortis, Staline s’est tourné vers Beria :
    — Tu vois, Beria, ils veulent m’écarter.
    Derrière ses lorgnons, l’homme le plus secret de l’URSS, le Fouché soviétique, est resté impassible. Que Lavrenti Beria ait été géorgien comme Staline n’a pas été sans influence sur sa rapide ascension. À l’instar de son maître, il éprouve un mépris radical pour la vie humaine. Ministre de l’Intérieur, chef de la Police secrète, directeur de l’Énergie atomique, il règne sur ces innombrables prisons où se pratique quotidiennement la torture. Il ne s’en applique pas moins à ressembler davantage à un intellectuel qu’à un bourreau. Ce qu’apprécie chez lui Staline, c’est sa façon d’exécuter des ordres qui, bien souvent, ne prennent la forme que de simples souhaits.
    L’agence Tass précise : « Certains médecins, en prescrivant un traitement nocif, ont essayé d’attenter à la vie des dirigeants soviétiques. » On doit à Khrouchtchev, lors de son rapport de 1956 au XX e Congrès, le meilleur récit de cette invraisemblable machination : « Les lettres de la doctoresse Timachouk étaient suffisantes pour que Staline en déduisît immédiatement qu’il y avait en Union soviétique des médecins conspirateurs. Il donna l’ordre de procéder à

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