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C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

Titel: C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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pacifique » Délibérément, il a intégré l’Égypte parmi les pays du tiers monde. Quelques jours plus tôt, il était à Brioni, en Yougoslavie, où les leaders du « neutralisme » mondial, le Pandit Nehru et le maréchal Tito, l’ont accueilli comme leur pair.
    Or là, à Alexandrie, le même homme est sur le point de faire vaciller la paix. Non seulement celle du Moyen-Orient, mais la paix du monde.
     
    Ceux qui se pressent dans les premiers rangs distinguent, sur le visage de Nasser, une sorte de vague sourire. Un geste impérieux, et la foule se tait. Alors, d’une main ferme, il saisit le micro – et parle.
    D’emblée, le ton surprend. Aucune solennité, pas la moindre gravité. Nasser s’exprime sur un registre presque badin, à la limite de la vulgarité. Deux journalistes français, Simonne et Jean Lacouture, en sont étonnés : « Nous étions venus entendre un monologue de tragédie ; on nous offre une chronique humoristique  (23) . »
    Nasser a choisi de s’exprimer dans la langue très simple de ce peuple des faubourgs qui l’écoute. Chaque « effet » de l’orateur est souligné par des rires de connivence :
    — Maintenant, je vais vous raconter mes démêlés avec les diplomates américains…
    Le Raïs se fait acteur. Il joue le rôle du malin Goha (le Panurge égyptien) aux prises avec les colosses de la politique mondiale. Voilà qui est nouveau : jusqu’ici, quand Nasser s’exprimait en public, il manquait de naturel. « Cet homme timide et emprunté, disent encore Simonne et Jean Lacouture, vient de découvrir en riant comment on parle au peuple. Au-dessous de nous, dans la cuvette sombre qu’est devenue la place, ce n’est pas une ivre fureur qui bouillonne, c’est un gros rire qui fuse à chaque instant. »
    Ce n’est qu’un préambule. La voix se durcit. Plus question de plaisanter. Le Raïs parle de la Banque mondiale, entame un réquisitoire de plus en plus amer, de plus en plus furieux contre le « colonialisme hypothécaire ». D’abord, la foule reste sans réaction. Depuis la révolution, on l’a abreuvée de tant de déclarations du même genre ! Tout à coup, Gamal parle de Ferdinand de Lesseps. Le nom est tombé de sa bouche comme une injure. Ce nom-là, tout Égyptien le connaît dès l’enfance. Ce Français, créateur du canal de Suez, chaque Égyptien sait qu’il a uni la Méditerranée et la mer Rouge, que ce fut peut-être un prodige mais qu’il a fait surgir des sables beaucoup de francs, beaucoup de livres, beaucoup de dollars. L’Égypte n’a jamais vu un seul de ces francs, une seule de ces livres, un seul de ces dollars :
    — Ce pactole qui coule à portée de notre main, ces bénéfices dont nous frustrait cette Compagnie impérialiste, tandis que nous mourions de faim, cet État dans l’État, nous allons le reprendre !
    Nasser veut-il s’emparer du canal de Suez ? Cela paraît tellement énorme que la foule hésite. Nasser s’est penché vers le micro. Sa voix s’enfle démesurément :
    — Je vous annonce qu’à l’heure même où je vous parle, la Compagnie universelle de Suez a cessé d’exister ! Nous l’avons nationalisée au profit du peuple ! Le canal est désormais à nous, bien à nous. Dès ce matin, j’ai ordonné qu’il devienne zone militaire égyptienne.
    Dans l’instant, les 250 000 Egyptiens présents sur la place Mohammed-Ali ont compris. Ce qui monte vers le ciel, c’est un immense hurlement de joie, une irrésistible explosion de bonheur. Nasser semble lui-même saisi d’une ivresse qu’il ne contrôle plus. Il renverse la tête en arrière et tout à coup se met à rire, à rire, à rire ! Ceux qui ont entendu le rire de Nasser à Alexandrie, le 26 juillet 1956, ne pourront jamais l’oublier. Il se reprend, demande et obtient le silence, poursuit :
    — Le canal de Suez paiera, et amplement, la construction du barrage d’Assouan. Nous n’avons plus besoin de mendier de l’argent à Washington, à Londres ou à Moscou !
    Une nouvelle vague d’enthousiasme l’interrompt. Il la domine :
    — Les revenus de la Société du Canal se sont élevés, pour l’année 1955, à 100 millions de dollars. Elle ne nous en a remis que 3 millions… Grâce aux revenus de cette institution… nous n’aurons plus besoin d’aide étrangère. Nous construirons nous-mêmes le barrage – ce barrage qui donnera du pain et de la lumière à nos enfants…
    La foule délire. Il

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