Charly 9
apprendre tout cela dans mon jardin, poursuit-il en
prenant par le bras la petite qu’il accompagne.
Franchissant la porte avec elle d’un
pas alerte, il ajoute :
— Mignonne, nous irons voir si
la rose…
— Restez là, Ronsard !
ordonne le monarque.
Le poète tourangeau revient en
traînant la patte et regrettant :
— Mais pourquoi des
décasyllabes, Majesté, plutôt que des alexandrins ? C’est une mauvaise
idée.
— Si c’était la première qu’il
avait eue… rumine d’Orat.
— Ce sera en décasyllabes et
long, insiste le roi. J’y tiens beaucoup. Les Grecs écrivaient bien en vers de
dix pieds.
— Dix pieds, ça va peut-être
pour le grec mais en français, il en faut douze.
— Obéissez à mes ordonnances,
Ronsard, sans discuter ou contester car je sais mieux que personne ce qui est
propre et convenable pour mon royaume.
— Ah bon ? Ça se saurait…
ricane d’Orat.
— Vous, arrêtez de remuer cette
maudite mâchoire sinon je la cloue ! menace Charly 9.
— On a bien fait de laisser
repartir le raisin et le melon…, chuchote Tyard à l’oreille de Baïf.
Après que Ronsard eut déploré :
« La Franciade n’égalera jamais le reste de mon œuvre. Elle fera
tache et sera sujet à moqueries… », le roi se veut rassurant :
« Moqueries ? J’irai jusque dans leurs maisons et dedans leurs lits
chercher ceux qui les baillent ! Vous allez y arriver, Pierre. Vous saurez
rimer La Franciade avec des vers aussi beaux que celui que vous avez
écrit sur Paris. Comment c’est déjà ? Ah oui : La ville au dos
fendu d’une rivière . »
— C’est un alexandrin,
Majesté ! rappelle le poète bucolique.
— Ah bon ?
— Mais oui, en deux hémistiches
avec la césure au milieu comme il faut. 1, 2, 3, 4, 5, 6, césure, 1, 2, 3, 4,
5, 6, vers suivant… La-vi-lau-dos-fen-du , césure, d’u-ne-ri-vi-è-re .
Alors ?
— La Franciade sera
rédigée en décasyllabes.
— Rooh !… Bon, on a le
titre mais sur quel thème, Majesté, vais-je devoir braire en dix pieds comme un
âne ?
— Vous raconterez la vie de
Francus, fils supposé d’Hector, dont on dit qu’il serait à l’origine du peuple
français.
Ronsard, yeux au plafond et joues
gonflées, soupire sur l’air de : « Oh, putain, en plus, le
sujet !… »
— Pierre, j’attends là-dessus
dix mille vers que vous me ferez lire au fur et à mesure de leur rédaction.
Baïf et Tyard qui étaient un peu
chagrinés que le roi préfère passer commande à Ronsard sont maintenant très
soulagés de ne pas avoir à se goinfrer dix mille lignes sur la vie de ce con de
Francus. En revanche, d’Orat, lui, s’y collerait bien : « Sire,
confiez-moi votre Franciade . Tout le monde courra en acheter comme du
pain au marché en temps de famine ! » mais le roi ne l’écoute même
pas. Ce poète qui plaît maigrement s’estomaque et s’altère, se demande comment
il est possible qu’on le maltraite de cette façon alors que Ronsard, lui,
s’inquiète pour sa postérité qui le préoccupe beaucoup :
— Les beaux palais et bâtiments
sont sujets à ruine et ne durent que quelque temps, voire les généreux actes ou
méfaits des rois pouvant s’effacer de la mémoire des hommes mais les écrits
restent éternellement…
— Bon, maintenant que nous
sommes tous d’accord, on va fêter ça ! s’écrie le monarque qui se lève en
bas blancs troués laissant voir la peau de ses mollets. Je chanterais bien mais
j’ai mauvaise voix. Voulez-vous que je vous joue du cor ?
« Non ! » s’écrient
ensemble Baïf, Tyard et d’Orat, se jetant la dernière phalange de leurs index
au fond des tympans mais c’est trop tard :
— COIIN ! COUIIINNE !
GRR ! BRRU !!!
Ronsard s’étonne de la mine
grimaçante et catastrophée des collègues de la Pléiade :
— Quoi, qu’a-t-elle, la musique
du roi ?
D’Orat qui souffre, en nage et
écarlate dans l’affolant boucan de la cacophonie stridente, regrette :
— S’il faut être sourd pour que
Sa Majesté vous trouve du talent…
33
Charly 9 chasse à courre le cerf
dans le Louvre, pas dans la cour carrée ni dans le jardin qui mène aux
Tuileries, dans le Louvre ! Un magnifique vieux vingt-deux cors ès bois
authentiques glisse sur les dalles en marbre, défonce les portes. Il est
poursuivi par un cheval rouan au galop que monte à cru le monarque nu, crâne sous
le capuchon d’une cape de Béarn qu’il a
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