Charly 9
de
qui ?
— Ben, celui du roi de France,
c’est écrit dessous !
— C’est le monarque, lui ?
— Oui.
— La dernière fois que je l’ai
vu, c’était deux semaines avant la Saint-Barthélemy. Comme il a changé en un
peu plus d’un an…
— Et encore, le dessin est
flatteur ! Vous allez voir, en vrai, quand il vous donnera audience…
— Où est-il ?
— Parti essayer une nouvelle
selle.
— Ah, donc il n’est pas entre
les murs du palais ?
— Si, si.
— Mais ? Il ne monte pas à
cheval dans le Louvre tout de même ?
— Heu… si, si, des fois si
mais, là, c’est lui qui porte la selle.
— Pour mettre le cheval
dessus ?
— On ne sait pas.
— Je ne comprends rien, duc de
Longueville. On se croirait maintenant dans une maison de fous, ici !
— C’est un peu ça… Monsieur de
La Noue, avisez bien, quand vous serez devant le roi, d’être sage et de parler
sagement car vous ne parlerez plus à ce roi doux, bénin et gracieux d’avant la
Saint-Barthélemy. Il a, à cette heure, autant de sévérité au visage qu’il avait
avant de douceur. Tiens, le voilà !
— Ca-ta-clop !
Ca-ta-clop ! Ca-ta-clop ! Hu-hu-huuu !…
Le souverain arrive à quatre pattes
en faisant avec sa bouche le bruit des sabots au trot suivi d’un hennissement.
Dos recouvert d’une magnifique selle dont les étriers traînent sur les dalles
en marbre, il se plaint auprès du duc de Longueville :
— Ça blesse ici et là. Il
faudra pendre le sellier. Défaites-moi tout ça.
Pendant que le duc accroupi
dessangle Sa Majesté, La Noue, qui n’en revient pas, baisse son bras droit
tenant le dessin qu’il contemplait tout à l’heure. Charly 9 se lève et lui
tape contre l’épaule gauche :
— Alors, gouverneur de La
Rochelle, ça va ? Aïe !
En frappant la manche verticale du
pourpoint de La Noue, on a entendu un bruit métallique et Sa Majesté, qui s’est
fait mal aux doigts contre des rivets, se souvient :
— Ah, c’est vrai, vous portez
une prosthèse. Ce bras perdu au siège de Fontenay-le-Comte n’a donc toujours
pas repoussé ? Ah, si plutôt qu’être un Malcontent vous aviez été lézard…
Suivez-moi, Bras-de-Fer.
Dans le cabinet du roi, le
gouverneur de La Rochelle observe Charly 9 – long, maigre, voûté, pâle,
les yeux jaunâtres, l’air bilieux et menaçant, le cou un peu de travers. Tout
en douleurs et langueurs, aaah !…, le monarque s’étire :
— C’est vous, La Noue, qui avez
un membre en fer et c’est moi qui rouille mais ça ira sans doute mieux quand
Anjou sera enfin en Pologne !…
— Votre frère – Monsieur – va
quitter la France, Sire ?
— Oui. À Cracovie, le trône
sans héritier s’étant trouvé vacant, la Diète a eu à choisir un nouveau
monarque parmi Mes Chers Yeux, Ivan le Terrible et l’archiduc Ernst de
Habsbourg. Grégoire XIII ayant exigé l’élection d’un catholique,
l’assemblée polonaise a donc nommé mon frère le 19 juin. Vous m’entendez,
Bras-de-Fer, le 19 juin… et il est toujours là, en automne, à me surveiller…
comme s’il attendait que ce soit plutôt mon sceptre chancelant qui tombe dans
ses mains.
Effectivement, de l’autre côté de la
Seine et depuis une fenêtre de la tour de Nesle, Henri d’Anjou regarde le
Louvre avec envie. Emperlée, sa chevelure poudrée jaune vif dessine deux arcs
voûtés sous un bonnet sans bord fait à l’italienne. Il agite des manchons
gaufrés de satin blanc et perce, avec une aiguille, une poupée de cire.
— Aïe !… grimace
Charly 9, se pliant en deux et portant une main à sa poitrine. J’ai
souvent le cœur comme traversé d’une lame plus fine et plus pénétrante qu’aucun
stylet. Quand je serai délivré d’Anjou, j’espère que cela hâtera ma guérison.
Il se redresse lourdement :
— Les ambassadeurs polonais
trouvent mon frère peu pressé d’aller régner en son royaume. Moi aussi je suis
impatient alors j’ai fixé la date où la Cour qui m’accompagnera devra porter
ses malles de château en château jusqu’à la frontière. C’est pour ça que
j’essayais une nouvelle selle.
À vingt-trois ans, le roi aux rides
profondes donne l’impression d’être âgé de plus du double et le cerf en cligne
de ses paupières aux longs cils juvéniles.
Même si Charly 9 a un vilain
teint, qu’il est fort marqué de cernes et qu’il a beaucoup vieilli, il aime
toujours la plaisanterie et les farces au
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