Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
bâton. Il est à vous, prenez-en grand soin.
*
Après avoir pris congé de Diogo, Cristovao se dirigea vers
la chapelle où Antonio Pereira se tenait, plongé dans ses pensées. Il voulait
remercier le prêtre de son intervention et d’avoir de la sorte calmé la foule
avant que sa colère ne lui fasse commettre des actes insensés. Son
interlocuteur eut un geste las.
— J’ai agi comme me le conseillait le Seigneur. Ces pauvres
hères méritent qu’on les prenne en pitié quand le malheur s’abat sur eux. Voilà
une chose que votre beau-frère, avec tout le respect que je lui dois, serait
bien avisé de comprendre.
— Il est encore jeune et inexpérimenté. Il faut lui
laisser le temps d’apprendre.
— Il n’y a pas d’école pour la charité et la bonté.
— N’en discutons plus. Vous avez eu une riche idée
d’évoquer ce procès à Meulan. C’est une fable qui leur a plu.
— Ce n’était pas une fable. Tout ce que j’ai dit était
exact, Dieu me préserve du mensonge ! L’un de mes professeurs avait été le
témoin de ce procès et nous en a longuement parlé.
— Voilà qui devait vous changer des cours des autres
professeurs.
— Je me suis beaucoup ennuyé lors de mes études.
Heureusement, le soir, dans ma modeste cellule, je pouvais lire les manuscrits
que la générosité de mon père me permettait d’acquérir.
— Je puis le comprendre. J’ai moi-même été étudiant à
Pavie et je faisais de même. Pour tout vous dire, je n’ai guère changé. Je lis
encore beaucoup. Malheureusement, ce ne sont point les Saintes Écritures mais
le Devisement du monde.
La voix d’Antonio Pereira s’éleva dans la chapelle,
joyeuse :
— Seigneurs, empereurs et rois, ducs et marquis,
comtes, chevaliers et bourgeois, et vous tous qui voulez connaître les
différentes races d’hommes et la variété de diverses régions du monde, et être
informés de leurs us et coutumes, prenez donc ce livre et faites-le lire.
— Quoi, vous connaissez Marco Polo au point de
citer par cœur son début ?
— Je l’ai lu et relu pour bien me pénétrer de la
grandeur de Dieu qui a créé de si belles choses. Il m’arrive de pleurer en
pensant que des hommes sont toujours plongés dans les ténèbres de l’ignorance
et n’ont pas la connaissance de la vraie foi. Je les plains bien sincèrement.
— Pensez-vous que Marco Polo ait dit toute la vérité
sur ses voyages ?
— Parcourir de longues distances, ce n’est pas accéder
à la vérité. À ce compte-là, je veux bien marcher jusqu’à Jérusalem si cela
suffit à pénétrer les mystères divins. En lui-même, un voyage ne vaut rien. Ce
qui compte, c’est la raison qui vous pousse à l’accomplir. Tout le reste n’est
que vanité.
— Vanité que de découvrir des lieux inconnus, des êtres
étranges et des merveilles dont nous n’avions pas l’idée ?
— Vanité en effet que tout cela si le désir de plaire à
Dieu en est absent.
— Pourtant, ce serait faire grand honneur à Dieu que de
porter sa parole au bout du monde, à Cypango par exemple, dont Marco Polo parle
si bien.
— Que vous chaut Cypango, murmura, rageur, Antonio
Pereira, si ce n’est à cause des richesses qu’elle contient ? Car c’est
là, ne protestez pas, ce qui a attiré votre attention. Pour vous, Cypango,
c’est un but, ce n’est pas un rêve. Et c’est pour cela que vous ne la trouverez
pas, dussiez-vous voyager des années et des années.
— Loin de moi ce projet ! Je suis tout jeune marié
et mon épouse attend notre premier enfant. Je n’ai guère envie de la quitter
pour endurer mille tourments et désagréments.
— Je n’en suis pas si sûr. Dona Felippa est vôtre, pas
Cypango. Quoi que vous fassiez, vous ne pourrez vous empêcher d’y songer.
— Tout cela est bien confus dans ma tête. Pour vous
parler franchement, je ne sais trop quoi penser. Contrairement à vous, je ne
suis pas un lettré. J’ignore tant de choses qu’il m’est bien difficile de
savoir si Cypango est un but ou un rêve. J’enrage de n’être qu’un sot et de ne
pas savoir ce qu’ont écrit de notre monde les meilleurs auteurs.
— Il ne tient qu’à vous d’apprendre. Si vous en avez la
volonté, sachez que je pourrais vous aider grâce à certains de mes amis. À
condition toutefois que vous soyez convaincu que le savoir n’est rien en
lui-même. La science est vaine quand elle est seulement une accumulation
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