Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
moins si vous avez respecté
l’ordre que nous vous avions donné de ne rien dire de nos discussions.
— Je m’y suis scrupuleusement conformé.
— Dans ce cas, vous n’avez rien à craindre. Reprenez
vos activités habituelles.
— Je n’ai plus le goût.
— Allons, vous êtes encore jeune et vous reprendrez
vite confiance en vous.
— C’est bien là le problème. Je suis persuadé d’avoir
raison et c’est à la recherche de Cypango que j’entends désormais me consacrer.
— Je vous l’ai dit, nul ici ne mettra de navires à
votre disposition. N’essayez pas d’intéresser à votre projet des marchands
privés ou des nobles. Dom Joao ne le tolérerait pas.
— Suis-je seulement libre de quitter le Portugal ?
— Qui vous en empêche ? Vous êtes venu librement
dans ce royaume et c’est tout aussi librement que vous en repartirez, sauf si
vous êtes recherché par la justice. Cela ne souffre aucune discussion.
— Même si je propose mon projet à d’autres
souverains ?
— Vous connaissez mal les rois. Ils sont très économes
de leur argent et ils vous feront la même réponse que Dom Joao. Réfléchissez-y
à deux fois avant de solliciter leur concours. C’est à vous seul de savoir si
le jeu en vaut la chandelle !
— L’évêque, jouons franc jeu une fois pour toutes.
Est-ce un péché que de poursuivre ce projet ?
— C’en serait un si vous étiez mû par l’orgueil. J’ose
espérer que ce n’est pas le cas. Si d’aventure vous allez en Castille,
rendez-vous au monastère de la Rabida, près de Palos. Le prieur est l’un de mes
amis. Vous trouverez en lui un directeur de conscience aussi pieux qu’avisé.
*
Le 23 janvier de l’an de
grâce 1483
Du père Antonio Pereira, curé de
Porto Santo,
à frère Juliao, portier du
monastère de
Tous les Saints à Lisbonne
Sache qu’un ancien matelot, qui comptait au nombre de mes
paroissiens même s’il ne fréquentait guère mon église, est mort en tenant des
propos incompréhensibles sur une île à laquelle il aurait abordé. C’était un
ivrogne de la pire espèce et sa femme passe pour sorcière. Toutefois, le
beau-frère de Bartolomeo Perestrello y Moniz semblait l’apprécier et avait eu
de longs entretiens avec lui.
Je t’en fais le fidèle rapport puisque tu m’as ordonné,
au nom de notre ancienne amitié, de te tenir informé du moindre détail le
concernant.
Je te remercie de m’avoir fait parvenir les livres que je
t’avais demandés et qui me consolent de la solitude à laquelle je suis
condamné.
Je demeure ton ami,
Antonio Pereira
*
Le 23 février de l’an de
grâce 1484
Du frère Juliao, portier au
monastère de
Tous les Saints, à Antao Correa,
ouvidor de la
Maison de La Mine et des affaires
de Guinée
Je me suis longuement entretenu avec l’homme dont je
t’avais parlé et j’ai la ferme conviction qu’il est persuadé de l’existence
d’une route entre Lisbonne et Cypango.
J’ai eu beau le mettre en garde contre ces sornettes, il
persiste dans ses rêveries et ses spéculations.
J’en ai discuté à plusieurs reprises avec José Vizinho,
qui m’honore de sa confiance, et il est convaincu qu’il faut l’encourager dans
cette voie et lui faire croire que nos entreprises africaines sont vouées à
l’échec.
C’est pourquoi il te demande instamment de le convoquer
pour lui intimer l’ordre de se joindre au voyage à La Mine que mestre José doit
faire avec les autres conseillers du roi et dont tu es chargé d’organiser les
préparatifs. Ce Génois sera ton adjoint et tu auras grand soin de lui faire
comprendre qu’il a l’obligation de nous servir. Ménage-lui une entrevue avec
José Vizinho sans l’en avertir.
Je suis ton dévoué serviteur,
Frère Juliao.
*
Le 23 mai de l’an de grâce
1484
De Diogo Ortiz de Vilhegas,
évêque de Ceuta,
au frère Antonio de Marchena,
custode de la
province franciscaine de Séville,
son frère dans le Christ
Notre-Seigneur
J’ai gardé un excellent souvenir de notre rencontre alors
que je me rendais à Ceuta pour y remplir mes fonctions.
Tu m’as généreusement accordé l’hospitalité alors que nos
deux pays venaient à peine de conclure la paix et tu as veillé sur ma sécurité
en me fournissant une escorte armée.
Je me souviens de nos amicales discussions durant
lesquelles j’ai pu t’ouvrir mon cœur et te faire part de la tristesse
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