Chronique de mon erreur judiciaire
protéger les enfants n’ayant pas de problème ou, à tout le moins, informer les parents des amitiés ayant pu se nouer à leur insu afin d’accroître leur vigilance ? La question mérite débat.
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Encore un coup de théâtre de Myriam Badaoui. Mais cette fois, il s’apparente à un coup d’épée dans l’eau. Elle a tellement dit tout et son contraire que plus personne ne lui accorde de crédit. Après avoir disculpé la semaine précédente treize des dix-sept prévenus, voilà qu’elle revient sur ses déclarations et remet en cause tout le monde à l’exception du mari de la boulangère. Pourquoi lui ? Encore un mystère.
— Mes enfants n’ont pas menti, j’étais là et j’ai tout vu, s’enflamme-t-elle en ajoutant : Je n’ai pas détruit la vie des accusés mais on a détruit la vie des enfants. Tous les accusés, à part M. Godard, ont bien participé aux viols.
Elle reparle même du meurtre de la petite fille, soi-disant assassinée par son mari, et précise que son fils Johnny a assisté au crime.
Comme le proclame alors l’un des avocats de la défense : « Treize vies sont aux mains d’une folle. »
Ce nouveau coup d’éclat relevant du énième revirement confirme, s’il était besoin, la fragilité de son esprit et l’inanité de ses accusations. Personne ne peut désormais se fonder sur ses déclarations pour forger son intime conviction. Si les juges vont devoir jongler et composer avec tous ces errements, comment un juré peut-il continuer à croire aux délires de cette prévenue qui accuse un jour, disculpe le lendemain, pour pourfendre à nouveau ensuite ?
Chapitre 39
Le procès, Acte III, scène 2
ou
Le carnaval des innocents chanceux
Les autres enfants Delay interrogés sans révéler de choses majeures sinon leurs propres tourments ; l’avocat de Frank Lavier contraint de céder sa place à cause d’ennuis de santé – ce qui vaut une passe d’armes procédurale pénible et absconse – ; les audiences se suivent et réservent leur petit lot de surprises et douleurs.
Pour la défense des accusés innocents, il est temps de tirer parti des divers enseignements des premières semaines du procès. Et monter à l’assaut de l’instruction afin d’en montrer les incohérences et les erreurs. D’un commun accord, la journée de ce mercredi 26 mai est consacrée à l’audition de quatorze personnes ayant été mises en cause, à un moment ou à un autre, mais qui n’ont pas fait l’objet de mises en accusation. Pour maître Delarue, « si nous avons voulu que la Cour entende toutes ces personnes, c’est pour démontrer qu’il y a bien eu deux poids deux mesures dans l’instruction de l’affaire ».
Et entendre tous ces hommes et femmes passés à travers les mailles du filet discrédite en effet la justice française et, par là même, la démocratie, l’égalité des citoyens ainsi que la présomption d’innocence.
Nous entendons ainsi des commerçants de quartier, des connaissances ou des anonymes. Des gens ordinaires, cités par un ou plusieurs des dix-sept enfants comme par Myriam Badaoui, parfois accusés de forfaitures et crimes tout aussi imaginaires mais bien plus graves que ceux reprochés aux malheureux qui trépignent sur le banc des accusés. Pourquoi nous et pas eux ?
Plusieurs témoins défilant à la barre indiquent du reste avoir été choqués de leur mise en cause injuste et infondée. L’un des rescapés refuse même de donner sa profession au président, craignant d’être de nouveau poursuivi par la presse, tandis qu’un autre confie avoir encore peur d’entendre sonner à sa porte. Il en est même certains contraints de déménager pour retrouver un semblant de calme dans leur quotidien. Quel lamentable gâchis !
Devant cette farce de mauvais goût, cette répétition d’un court-métrage burlesque et pitoyable, Gérald Lesigne, l’avocat général, paraît atterré. Quand maître Berton lui demande s’il entend poursuivre les personnes entendues parce que l’action publique n’est toujours pas éteinte à leur égard, il répond par la négative.
Mon défenseur a le mot de la fin en déclarant : « Tous ces témoins entendus doivent comprendre qu’ils ont eu une chance extraordinaire de ne pas être aujourd’hui aux côtés des accusés. C’était, aujourd’hui, le “bal des innocents chanceux”. »
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27 mai 2004. C’est mon anniversaire. Et pour mes quarante ans, je vais recevoir un
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